Face à la dégradation de la situation des droits humains dans le pays, Alkarama a appelé le Comité des droits de l’homme à prévoir, sans délai, l’examen de la situation en Algérie, en l’appelant à soumettre son rapport périodique, déjà en retard de trois années.
Cette situation ne peut être dissociée du contexte plus large dans lequel elle s’inscrit. Depuis les années 1990 et la prise du pouvoir par les militaires, l’Algérie connaît une répression politique durable. Le mouvement populaire du Hirak en 2019 avait pourtant laissé espérer une ouverture démocratique. Mais loin d’aller dans ce sens, les années suivantes ont été marquées par un durcissement des pratiques répressives : arrestations arbitraires de manifestants, de journalistes et de défenseurs des droits humains, recours systématique à une législation d’exception et à une justice aux ordres, restrictions sévères des libertés fondamentales, ainsi que des cas documentés de torture et de mauvais traitements.
Aucune des recommandations formulées par les experts lors du dernier examen périodique de l’Algérie n’a été mise en œuvre par l’état partie ; au contraire celui-ci est allé totalement à contresens de ces recommandations en généralisant les atteintes aux libertés fondamentales des citoyens algériens et en réinstaurant des pratiques que l’on croyait révolues depuis la guerre civile des années 90.
Ainsi, notamment, en violation des recommandations des experts onusiens, les autorités algériennes ont étendu l’application de l’article 87 bis du code pénal en généralisant son application aux journalistes, aux membres de l’opposition politique, aux défenseurs des droits de l’homme ou à toute personne exprimant une opinion critique vis-à-vis du pouvoir politique sur les réseaux sociaux.
Le comité des droits de l’homme avait pourtant enjoint aux autorités d’Alger de « définir avec précision les actes de terrorisme et s’assurer que les dispositions en lien avec la lutte contre le terrorisme ne sont pas utilisées pour limiter les droits consacrés par le Pacte, en particulier à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ».
D’autre part, dans le cadre du suivi de ses décisions le Comité des droits de l’homme avait invité, « de manière urgente l’Etat partie à coopérer de bonne foi avec le Comité dans le cadre de la procédure de communications individuelles et […] à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour mettre en place des procédures voulues en vue de donner pleinement effet aux constatations du Comité de façon à garantir un recours utile en cas de violation du Pacte ».
Cependant, aucune des décisions rendues par le Comité n’a été mise en œuvre par les autorités algériennes en violation flagrante de leurs obligations internationales. Au contraire, des mesures de représailles ont été prises contre certains plaignants ou les membres de leurs familles pour dissuader tout individu coopérant avec le comité de recourir à son mécanisme de plainte.
Dans ce cadre, Alkarama a transmis le 1ᵉʳ décembre 2025 à l’instance onusienne, un rapport détaillé et actualisé relevant tous les manquements de l’Etat partie à ses obligations internationales au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel il a souscrit.
Par ailleurs, le comité avait, lors de son examen en 2018, appelé les autorités algériennes à « s’assurer de la libération inconditionnelle de toute personne détenue de manière arbitraire et ouvrir des enquêtes efficaces et indépendantes sur toute allégation d’arrestation arbitraire ».
Il faut souligner que plusieurs dizaines de personnes condamnées dans les années 90 à de lourdes peines de prison à la suite de procès inéquitables devant des juridictions d’exception (cours spéciales) sur la seule base d’aveux arrachés sous la torture continuent d’être détenus dans des conditions inhumaines depuis plus de 30 ans.
Ainsi Djameleddine Laskri, architecte, aujourd’hui agé de 65 ans est détenu depuis 33 années à la suite de sa condamnation le 26 mai 1993 par la Cour spéciale d’Alger sur la seule base d’aveux arrachés sous la torture au cours d’une détention au secret de 2 mois, et ce, en dépit d’une décision adoptée par le Groupe de travail des Nations unies le 30 avril 2014 reconnaissant la nature arbitraire de sa détention et ordonnant sa libération immédiate et inconditionnelle.
Ce refus persistant de mettre en œuvre les décisions du Comité ainsi que celles de tous les autres mécanismes onusiens au profit des victimes consolide un système d’impunité devenu structurel. L’absence d’efforts sérieux pour se conformer à ses obligations internationales constitue, en soi, un signal alarmant sur l’érosion de l’état de droit dans le pays. Les violations actuelles ne sont pas des incidents isolés mais s’inscrivent dans la continuité de méthodes et de structures répressives profondément ancrées.
Les citoyens algériens restent exposés à un risque réel de répétition de ces violations, y compris les plus graves, faute de garanties de non-répétition, de contrôle indépendant ou de réformes institutionnelles. Le refus total d’exécuter les décisions du Comité n’est pas seulement un manquement juridique mais contribue directement à la normalisation et à la répétition de ces abus.
Alkarama réaffirme sa détermination à poursuivre son travail de documentation, d’assistance juridique et de suivi auprès des mécanismes internationaux des droits humains, afin de contribuer à la réalisation effective des droits consacrés par le Pacte en Algérie.