Vingt ans se sont écoulés depuis l'arrivée des premiers détenus au Guantanamo à Cuba, cette prison est restée un symbole d'injustice et l'incarnation de la politique des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme » qui se déroulait en dehors de tout cadre du droit international humanitaire et de droits humains.
A cette occasion, des militants des droits de l'homme du monde entier, dont des experts des Nations Unies, ont rappelé le parcours ardu des victimes et de leurs familles. Alkarama a été présente à de nombreuses étapes de la lutte pacifique contre Guantanamo et ses semblables dans le monde arabe, et s'est chargé, dans la mesure du possible, de faire entendre la voix des victimes et de leurs familles dans le monde.
En 2003, le camp comptait 700 prisonniers. Après 20 ans, 39 personnes sont toujours en détention, mais seulement neuf ont été inculpées ou reconnues coupables de crimes. Entre 2002 et 2021, neuf détenus sont morts en détention : deux de causes naturelles, et sept se sont suicidés, selon les États-Unis, sans qu'aucun d'entre eux n'ait été inculpé ou condamné pour un crime.
Experts des Nations Unies
A cette occasion, des experts des droits de l'homme des Nations Unies ont condamné le centre de détention comme un site dont " la mauvaise réputation est sans précédent" et ont appelé le gouvernement américain à le fermer et à renvoyer ses détenus chez eux ou vers des pays tiers considérés comme sûrs pour leur sécurité.
Dans une déclaration marquant le 20e anniversaire de l'ouverture de Guantanamo, les experts onusiens ont déclaré : « Vingt ans de détention arbitraire sans procès accompagnés de torture ou de mauvais traitements sont tout simplement inacceptables pour tout gouvernement. ».
Selon les experts de l'ONU, Guantanamo est un centre de détention connu pour son recours systématique à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants contre des centaines d'hommes qui ont été amenés sur le site et privés de leurs droits les plus élémentaires.
Les experts ont également déclaré que « Guantanamo est un symbole profond du manque systématique de redevabilité concernant la pratique de la torture et les mauvais traitements couverts par l'État et de l'impunité inacceptable accordée aux responsables ».
Les experts ont appelé le gouvernement américain à fermer le site, à renvoyer les détenus dans leurs foyers ou dans des pays tiers sûrs, tout en respectant le principe de non-refoulement, à fournir des recours et des compensations pour ceux qui ont été soumis à la torture et à la détention arbitraire par ses agents, et tenir pour responsables ceux qui ont permis et participé à la torture, comme l'exige le droit international.
Les experts ont condamné le manque d'assistance médicale adéquate et de réhabilitation pour les victimes de torture à Guantanamo même après leur transfert, soulignant que les souffrances de ces personnes et de leurs familles continuent sans fin. Ils ont estimé : « La poursuite des procédures inéquitables, le manque de transparence et une défense égale pour les accusés sont une honte pour l'engagement déclaré des États-Unis en faveur de la primauté du droit et de la protection constitutionnelle.
Les experts ont souligné en particulier les échecs du système judiciaire américain "à jouer un rôle constructif dans la protection de l'humain, le maintien de l'état de droit et la possibilité de faire prospérer le trou noir juridique à Guantanamo avec leur consentement et leur soutien avéré".
Enfin, les experts ont salué le "travail inlassable et courageux" des avocats de la défense qui ont lutté pour protéger l'état de droit et ont identifié les manquements persistants aux droits humains dans le travail quotidien des commissions.
Les experts ont déclaré que les commissions militaires établies par les États-Unis continuent de violer les exigences d'impartialité, d'indépendance et de non-discrimination contre les détenus de Guantanamo, et ne devraient jamais être utilisées de la manière dont elles y sont déployées. Les commissions militaires sont des organes exceptionnels affiliés au département américain de la Défense qui ont été constitués pour poursuivre les détenus sous prétexte que la base militaire est située en dehors des États-Unis.
L’action d’Alkarama
La déclaration des experts des Nations Unies concernant Guantanamo est d'accord avec les positions et déclarations qu'Alkarama a adoptées au cours des dernières années à cet égard. La question des détenus de « Guantanamo Bay » est restée en tête de la liste des préoccupations d'Alkarama, grâce à divers mécanismes de soutiens et de plaidoyer. Elle a également organisé ou participé à de nombreuses conférences, événements, activités sur le terrain et sit-in des familles des détenus et des organisations non gouvernementales, afin de rappeler les souffrances des victimes de cette détention et de leurs familles. Alkarama a également lancé des campagnes de plaidoyer pour défendre ces détenus oubliés, qui ont subi des violations et ont été privés de leurs droits, garantis par le droit international humanitaire.
Alkarama a soumis des dizaines de plaintes aux procédures spéciales des Nations Unies contre les États-Unis concernant des détenus à Guantanamo, par exemple, le 6 juin 2013, Alkarama a déposé une plainte auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire concernant l'ancien détenu saoudien à Guantanamo, Abd al-Rahman Shalabi Issa Oweida.
Le 29 octobre 2008, Alkarama a déposé une plainte auprès du Groupe de travail sur la détention arbitraire l'informant de la détention arbitraire de trois ressortissants soudanais à la base militaire américaine de Guantanamo Bay. Ces trois hommes travaillaient dans le domaine des secours et du travail humanitaire en Afghanistan.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, de nombreux travailleurs d'associations caritatives islamiques ont été soupçonnés de se livrer à des activités « terroristes », sachant que certains d'entre eux se trouvaient en Afghanistan depuis de nombreuses années, ce qui a conduit à leur arrestation par des éléments de l'armée pakistanaise, puis livrés à l'armée américaine qui les a transférés à Guantanamo Bay.
Le cas du journaliste reporter d'images d'Al-Jazeera, Sami Al-Hajj, est l'un des dossiers sur lesquels Alkarama a travaillé. Elle a écrit au Groupe de travail sur la détention arbitraire et au Rapporteur spécial sur la torture le 29 novembre 2007, leur demandant d'intervenir.
Continuation de la souffrance des détenus après leur retour
Même après le retour de nombreux détenus de Guantanamo dans leur pays ou dans d'autres pays, ils ont continué de subir la persécution et la confiscation de leurs droits. Alkarama a suivi continue de suivre avec inquiétude les conditions de nombreux rapatriés de Guantanamo qui font face à des conditions humanitaires extrêmement précaires. C’est le cas des 18 détenus yéménites transférés aux Émirats arabes unis qui n’a pas respecté ses engagements envers eux. Ils étaient ensuite libérés en deux vagues, la première en juillet et la seconde en octobre 2021.
Alkarama a maintenu le contact avec de nombreuses familles de détenus de Guantanamo, même après leur retour, car ils sont souvent soumis à de nouvelles arrestations et à des mauvais traitements de la part des autorités de leur pays, au lieu de leur assurer réhabilitation et réparation.
Par exemple, le cas du ressortissant algérien M. Abdelaziz Naji, malgré son refus d'être remis aux autorités algériennes, où il craignait d'être victime de persécutions et des mauvais traitements, les États-Unis l'ont finalement remis aux autorités de son pays le 19 juillet 2010. À son arrivée à l'aéroport d'Alger, il a été enlevé par des agents de la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS), qui l'ont emmené dans un centre de détention au secret.
Abdelaziz Naji, l'un des rares anciens détenus de Guantanamo à avoir été jugé et condamné à des peines de prison dans leur pays d'origine. Avant lui, il y a eu le cas d’Abdallah Hajji, un citoyen tunisien libéré en juin 2007 par les autorités américaines, libéré après cinq ans de détention dans le camp américain de Guantanamo Bay. Bien qu'aucune charge n'ait été retenue contre lui, un tribunal tunisien l'a pourtant condamné en 2007 à huit ans de prison. Il a été libéré en janvier 2011 après la chute du régime du président Ben Ali.
Au Yémen, les services de sécurité politique du gouvernorat d'Al-Mahra (sud-est du Yémen) ont détenu arbitrairement et au secret M. Karama Khamis Saeed Khamisan pendant 5 mois juste après son retour de Guantanamo sans avoir été traduit devant un juge. Il a été relâché le 16 août 2009.
Au Koweït, nous citons le cas de M. Abdulaziz Al-Shamri, l'ancien détenu de Guantanamo Bay, victime de harcèlement et de persécution les autorités koweitiennes. Alkarama a soumis son cas, le 25 novembre 2010, au Rapporteur spécial sur la promotion et protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, lui demandant d’intervenir auprès des autorités koweïtiennes pour qu'elles cessent de le harceler et de s'immiscer dans sa vie personnelle et qu'elles respectent son droit de vivre en paix dans son pays d'origine, notamment après que les tribunaux l'ont acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui.
En Arabie saoudite, Alkarama a soumis un appel urgent au Groupe de travail sur les disparitions forcées et une autre plainte distincte au Groupe de travail sur la détention arbitraire concernant le ressortissant bahreïni revenant de Guantanamo, M. Abdullah Majid Al Sayyah Al Nuaimi détenu par l’Arabie Saoudite.
Alkarama a travaillé également sur le cas du citoyen yéménite Amin Muhammad Al-Bakri, durant sa détention et jusqu'à sa libération et son retour au Yémen en août 2014. Alkarama a soumis deux plaintes au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, le 5 juillet 2006 puis le 7 février 2007. En conséquence, le groupe de travail a émis la résolution n° 11/2007 du 11 mars 2007, jugeant sa détention arbitraire.
Parmi les principaux positions d’Alkarama, sa remise en cause des allégations américaines concernant le suicide de certains détenus à Guantanamo. Alkarama y a appris la mort de trois détenus, l'un d'origine yéménite et les deux autres étant saoudiens, M. Mana' Al-Otaibi et M. Yasser Al-Zahrani. Selon les agences de presse, les trois détenus se sont suicidés dans la matinée du samedi 10 juin 2006 dans leurs cellules à l'aide de morceaux de tissu en leur possession.
Plus tard, le 11 septembre 2012, les autorités militaires américaines ont annoncé la mort du détenu yéménite Adnan Farhan Abdul Latif Al-Sharabi, notant qu'une équipe médicale militaire avait pratiqué une autopsie sur le corps et que les résultats de l'autopsie nécessiteraient quelques temps avant de les annoncer. Pour leur part, la famille de la victime et Alkarama ont exigé une enquête internationale et une autopsie menée par des parties neutres afin que les autorités militaires ne falsifient pas les preuves pour effacer les effets d'une éventuelle implication dans une « exécution extrajudiciaire », notant que M. Adnan est le troisième Yéménite qui meurt cette terrible prison, condamnant à la fois sans cesse les morts secrètes et mystérieuses de prisonniers du camp de détention américain de Guantanamo Bay à Cuba.