Alkarama a appris, auprès de sources émiriennes de défense des droits humains, le décès du prisonnier d’opinion Ali Abdullah Al-Khaja dans la prison d’Al-Razeen à Abou Dhabi. Son état de santé s’était fortement détérioré, et il est resté détenu plus de treize ans malgré une décision des Nations Unies qualifiant son incarcération d’arbitraire et appelant à sa libération.
Alkarama avait saisi le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire à propos de 62 prisonniers politiques, parmi lesquels Ali Abdullah Al-Khaja, pour dénoncer la répression croissante visant depuis 2011 les défenseurs des droits humains et militants politiques aux Émirats. À la suite de cette saisine, le Groupe de travail a rendu l’Avis n° 60/2013 condamnant leur détention et demandant leur libération immédiate.
Alkarama a suivi le dossier depuis ses débuts jusqu’au prononcé des verdicts injustes dans l’affaire connue sous le nom des « Émirats 94 ». Le 19 août 2013, elle avait sollicité un nouvel avis du Groupe de travail concernant 61 détenus condamnés à des peines allant de sept à dix ans de prison.
Durant cette période, les autorités émiriennes ont lancé une vaste campagne d’arrestations visant des dizaines de personnes – universitaires, juges, avocats et défenseurs des droits humains – en raison d’une pétition qu’ils avaient adressée au président des Émirats arabes unis et au Conseil suprême de la Fédération pour réclamer des réformes démocratiques. La Sûreté de l’État les a alors arrêtés, placés en détention secrète et prolongée, et soumis à de graves actes de torture. Ces détenus ont par la suite été jugés dans le cadre du plus grand procès collectif jamais tenu dans le pays, connu sous le nom des « Émirats 94 ».
Contexte de l’affaire
M. Al-Khaja a été arrêté à son domicile le 28 août 2012 et a fait l’objet d’une disparition forcée jusqu’à sa première comparution devant le tribunal en mars 2013, où il était accusé d’appartenance à une organisation clandestine. Durant toute la période où il a été détenu au secret, il a été soumis à un traitement humiliant et inhumain : placement à l’isolement, interdiction de visites, impossibilité de rencontrer son avocat ou de communiquer avec lui, ainsi que privation de plusieurs droits fondamentaux.
Le 2 juillet 2013, la Cour suprême fédérale d’Abou Dhabi a condamné 56 personnes, dont M. Al-Khaja, à dix ans de prison assortis de trois années de surveillance supplémentaire pour « appartenance à une organisation clandestine illégale ». Il a été jugé en tant que membre du groupe connu médiatiquement sous le nom des « Émirats 94 ».
Après sa condamnation, les violations à son encontre ont persisté à la prison d’Al-Razeen, notamment un isolement prolongé, l’interdiction d’accéder au soleil, de pratiquer des activités sportives ou de participer aux rites religieux collectifs tels que la prière du vendredi, ainsi que la privation de visites pendant de longues périodes, sans motif valable.
Bien que M. Al-Khaja ait purgé l’intégralité de sa peine le 28 août 2022, les autorités émiriennes ont refusé de le libérer et l’ont maintenu en détention arbitraire, en le transférant au centre de « réhabilitation » de la prison d’Al-Razeen sous prétexte qu’il constituerait une menace terroriste, sans lui offrir la possibilité de contester cette décision.
Au début du mois de décembre 2023, les autorités ont de nouveau engagé des poursuites contre M. Al-Khaja et 83 autres citoyens émiratis, les renvoyant devant la Chambre de la Sûreté de l’État de la Cour d’appel d’Abou Dhabi pour « création et soutien d’une organisation terroriste », selon des sources de défense des droits humains. Le nouveau procès, connu sous le nom d’« Émirats 84 », a débuté le 7 décembre 2023.
Face à cette situation, dix-sept experts des Nations Unies ont publié, le 19 janvier 2024, un communiqué dénonçant cette initiative et exprimant leur vive inquiétude quant au fait que le procès de « 84 membres de la société civile sur la base d’accusations fallacieuses liées au terrorisme pourrait aboutir à la peine de mort ou à de lourdes peines d’emprisonnement ». Ils ont rappelé que la plupart des accusés purgeaient déjà, ou avaient purgé, des peines pour des actes prétendument commis entre 2010 et 2011, au moment du Printemps arabe.
Le communiqué souligne que ces poursuites s’inscrivent dans « une campagne de répression croissante menée par les Émirats arabes unis contre les individus et organisations appelant à des réformes politiques pacifiques, et qui ont conduit à l’imposition de longues peines d’emprisonnement en vertu du Code pénal ».
Action d’Alkarama
Alkarama a suivi le dossier de M. Ali Abdullah Al-Khaja et de plusieurs autres prisonniers d’opinion aux Émirats arabes unis durant toutes ces années, rappelant à de nombreuses reprises la gravité de leur situation. En mai 2024, Alkarama a vigoureusement dénoncé la nouvelle décision des autorités émiriennes de rejuger des dizaines de prisonniers politiques ayant pourtant purgé l’intégralité de leur peine, en dépit de multiples avis du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire condamnant ces pratiques et exigeant leur libération.
Ce communiqué faisait suite à la décision du procureur général émirien de renvoyer 84 prisonniers politiques devant la Cour fédérale d’Abou Dhabi, les accusant — pour la plupart — d’appartenir aux Frères musulmans, organisation interdite dans le pays, et de « créer une nouvelle structure clandestine destinée à commettre des actes de violence et de terrorisme ». Dans une déclaration relayée par les médias officiels, le procureur a affirmé que « les accusés avaient dissimulé ce crime présumé et ses preuves avant leur arrestation et leur procès dans l’affaire n°17 de 2013 – Sûreté de l’État ».
Pour Me Rachid Mesli, directeur d’Alkarama, ce nouveau procès constitue « une farce majeure et un mépris total de la justice ». Il rappelle qu’il s’agit d’une « violation manifeste du principe prohibant de juger une personne deux fois pour les mêmes faits après un jugement définitif », d’autant que les intéressés ont déjà purgé leur peine au terme d’un procès entaché d’irrégularités. Selon lui, cette démarche ne fait qu’« aggraver les violations subies par les détenus », s’apparentant à « une exécution lente », tout en permettant aux autorités de se soustraire à leurs obligations internationales, notamment leur devoir de coopération de bonne foi avec les procédures spéciales de l’ONU. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a pourtant rendu plusieurs avis confirmant le caractère arbitraire de leur détention et demandant leur libération ainsi qu’une réparation.
Me Mesli souligne également que les autorités d’Abou Dhabi ne se contentent pas d’ignorer ces avis internationaux : elles ont instauré « une situation absurde où l’État de droit est vidé de tout sens, tandis que la coercition devient la règle ».
Le 10 juillet 2024, l’agence de presse officielle WAM a annoncé que la Cour fédérale d’appel d’Abou Dhabi avait condamné 53 accusés ainsi que six entreprises.
Alkarama rappelle une nouvelle fois que le maintien en détention des prisonniers d’opinion aux Émirats arabes unis constitue une violation manifeste des obligations internationales du pays. Alkarama souligne également que la répétition de procès contre ces détenus s’apparente à une forme de torture psychologique : après avoir passé de longues années à espérer leur libération et la possibilité de reprendre une vie normale, les victimes sont confrontées à la décision des autorités de prolonger indéfiniment leur incarcération. Cette pratique illustre le mépris persistant des Émirats pour les avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, ainsi que pour les recommandations du Comité contre la torture.
Lors de son examen initial, auquel Alkarama avait contribué par un rapport parallèle et une participation à une séance d’information des ONG au Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Genève, le Comité contre la torture avait formulé en août 2022 plusieurs recommandations. Parmi elles figurait l’exigence que la législation antiterroriste et celle relative à la Sûreté de l’État soient pleinement conformes aux normes internationales en matière de droits humains. Le Comité insistait notamment sur la nécessité de garantir l’ensemble des garanties juridiques fondamentales énoncées au paragraphe 13 de l’Observation générale n°2 (2007), ainsi que sur l’importance de poursuivre et sanctionner les agents de sécurité et forces de l’ordre impliqués dans des actes de torture.
Le Comité a également recommandé que les détentions dans les centres de « réhabilitation » soient strictement encadrées par des critères clairs et définis par la loi, que leur durée soit limitée et explicitement fixée, et que les détenus puissent contester à tout moment la légalité de leur maintien en détention.
Il a en outre appelé l’État à redoubler d’efforts pour aligner les conditions de détention sur les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), à enquêter sur toutes les formes de mauvais traitements ou de peines cruelles, inhumaines ou dégradantes, et à poursuivre les responsables de telles violations.
Dans ses observations finales, le Comité a souligné l’importance d’une coopération renforcée avec les mécanismes onusiens de protection des droits humains, notamment en autorisant les visites du Groupe de travail sur la détention arbitraire et d’autres experts et procédures spéciales.
Il convient de rappeler que les autorités émiriennes détiennent encore plus de soixante prisonniers d’opinion, dont la majorité a pourtant purgé sa peine depuis juillet 2022, mais demeure incarcérée sous couvert de « réhabilitation ». Certains ont même été rejugés et à nouveau lourdement condamnés, après une succession de violations, de mauvais traitements, de torture et de procès inéquitables.