
Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) a rendu son Avis n°2/2025 relatif au juge Bechir Akremi, ancien procureur général et universitaire, détenu arbitrairement en Tunisie.
Alkarama et l’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT) avaient, le 31 janvier 2024, porté le cas de M. Bechir Akremi devant le GTDA. Ce dernier est détenu de manière arbitraire depuis février 2023.
Dans sa décision, le Groupe de travail a souligné que la détention d’un juge en raison présumée de l’exercice de ses fonctions porte atteinte à l’essence même de l’État de droit. Il a ajouté que les circonstances entourant l’affaire de M. Bechir Akremi — notamment son arrestation après son refus de céder à des pressions extérieures dans des affaires sensibles, son placement injustifié en hôpital psychiatrique, ainsi que sa poursuite dans des dossiers déjà classés ou ayant fait l’objet de non-lieux — s’inscrivent dans un schéma préoccupant d’intimidation judiciaire, qui dépasse son cas personnel et menace non seulement ses droits, mais aussi l’intégrité du système judiciaire tunisien tout entier.
Ces mesures adressent un message d’intimidation glaçant à l’ensemble des juges qui continuent de défendre leur indépendance face aux pressions politiques.
Le Groupe de travail a transmis cette affaire au Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats. Il a également estimé que la privation de liberté de M. Akremi était arbitraire, car elle viole les articles 3, 9 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que les articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette détention s’inscrit dans les catégories I et III de la classification des privations arbitraires de liberté.
Le Groupe de travail a demandé la libération immédiate de M. Akremi et la garantie de son droit à une réparation, y compris une indemnisation, conformément au droit international. Il a également exhorté le gouvernement tunisien à conduire une enquête approfondie et indépendante sur les circonstances de cette détention arbitraire, et à prendre les mesures nécessaires à l’encontre des responsables de ces violations.
Le Groupe de travail a demandé au gouvernement de recourir à tous les moyens disponibles pour diffuser cet avis le plus largement possible.
Contexte de l’affaire
M. Bechir Akremi a été arrêté le 12 février 2023 aux alentours de 17 heures par une vingtaine d’agents en civil de la brigade antiterroriste, qui ont perquisitionné son domicile sans mandat judiciaire ni notification des motifs de son arrestation.
Il a été inculpé de plusieurs chefs d’accusation principalement fondés sur la loi controversée relative à la lutte contre le terrorisme, et placé en détention en totale violation de la législation et de ses droits fondamentaux.
Alkarama avait d’abord soumis son cas au Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, dans une communication datée du 7 février 2023. Ensuite, compte tenu des conditions de sa détention, Alkarama avait également saisi le Rapporteur spécial sur la torture dans une lettre datée du 12 avril 2023.
Par la suite, la détention de M. Akremi a de nouveau été prolongée de quatre mois, sans justification légale ni nécessité apparente, confirmant ainsi le caractère politique des poursuites engagées contre lui.
Alkarama saisit le Groupe de travail
Face à ces développements, Alkarama, en collaboration avec l’AVTT, a décidé de saisir les mécanismes onusiens concernant le cas du juge Akremi, emprisonné injustement pour avoir refusé de céder aux menaces et pressions politiques.
Dans sa communication, Alkarama a souligné que la privation de liberté de M. Akremi, fondée sur une loi antiterroriste ne respectant pas le principe de légalité, rend sa détention arbitraire. De nombreux experts des Nations Unies ont d’ailleurs déjà dénoncé l’incompatibilité de cette loi avec les normes internationales et appelé la Tunisie à réformer sa législation.
Cependant, les autorités continuent d’instrumentaliser cette loi pour justifier des arrestations arbitraires et des privations de liberté visant des personnalités politiques, des avocats ou des juges, malgré la nature pacifique de leurs activités et l’absence de preuves matérielles.
M. Akremi est ainsi détenu en violation totale de son droit à un procès équitable, sur la base de faits déjà jugés ou ayant fait l’objet de décisions définitives de classement ou de non-lieu.
Alkarama a réaffirmé son inquiétude quant à l’absence d’indépendance de la justice, gravement compromise par les décisions unilatérales du président actuel, Kaïs Saïed, qui exerce un contrôle total sur le système judiciaire.
Aujourd’hui, M. Akremi se trouve confronté à un système judiciaire entièrement soumis au pouvoir exécutif, sans aucun recours effectif pour faire valoir ses droits.
Pour ces raisons, Alkarama a demandé à reconnaître le caractère arbitraire de la détention de M. Akremi, à enjoindre aux autorités tunisiennes de mettre fin aux persécutions et représailles à l’encontre de ce juge intègre et à ordonner sa libération immédiate.
Alkarama continuera de suivre cette affaire et d’informer le Groupe de travail de toute évolution, y compris des mesures concrètes que le gouvernement tunisien prendra pour appliquer cet avis onusien.
Enfin, Alkarama rappelle que le Conseil des droits de l’homme a invité tous les États à coopérer avec le Groupe de travail, à tenir compte de ses avis, à œuvrer pour mettre fin à toutes les situations de détention arbitraire et à l’informer des mesures adoptées à cet effet.