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Ghannouchi

Le 05 décembre 2023, l’Association des Victimes de la Torture en Tunisie (AVTT) et Alkarama ont soumis au Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires, la situation de M. Rached GHANNOUCHI, président du parlement tunisien et chef du mouvement politique de l’opposition, Ennahda, condamné le 15 mai dernier, à un an de prison sous prétexte d’« apologie de terrorisme ». 

Persécutions politiques et judiciaires des opposants 

Depuis le 25 juillet 2021, les persécutions policières et judiciaires contre les opposants au coup d’état du mois de juillet 2021 se sont multipliées à travers le pays. Les autorités tunisiennes ont particulièrement intensifié leurs attaques contre les membres du principal parti politique du pays, Ennahda, et ses dirigeants qui rejettent fermement les violations de la Constitution tunisienne et les mesures d’exception décrétées par le président, M. Kaïs Saïed. 

Depuis décembre 2022, les agents du ministère de l’intérieur ont arrêté au moins 17 membres ou anciens membres de ce parti, dont, plus récemment, M. Rached GHANNOUCHI, fondateur et président du parti et président du parlement aujourd’hui dissous. 

Figure politique éminente, M. GHANNOUCHI, avait tout particulièrement été pris pour cible par les services de la police depuis qu’il a fermement condamné le coup d’état et prôné un retour à la légalité constitutionnelle et à la démocratie. Depuis, il fait l’objet d’une multitude de procédures d’enquêtes policières engagées sous divers prétextes y compris en raison de ses prises de position politique et de ses déclarations publiques aux différents médias locaux et étrangers. 

Ainsi, au cours des 18 derniers mois, l’octogénaire a été interrogé dans le cadre de plus d’une dizaine de procédures policières dont la plupart ont fait l’objet de non-lieu lorsqu’elles ont été soumises au parquet en raison de leur inconsistance totale. Cependant, ces décisions de non-lieu ont suscité la colère des milieux politiques hostiles à Ennahda et proches du président Kaïs Saïed ainsi que des services de sécurité. 

Arrestation du président du Parlement 

C’est ainsi que le 17 avril 2023 et quelques minutes seulement avant la rupture du jeûne du Ramadan, plus d’une cinquantaine d’agents en civil ont fait irruption au domicile de M. GHANNOUCHI pour l’arrêter brutalement en l’absence de tout mandat. Il a ensuite été emmené vers une destination inconnue et a été privé de tout contact avec le monde extérieur et avec ses avocats en particulier pendant 48 heures. 

Deux jours plus tard, le 19 avril 2023, M. GHANNOUCHI est réapparu à la caserne de la Garde nationale d’El Aouina. Ce jour-là, il a été présenté devant le juge d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis où il a été longuement interrogé sur ses déclarations publiques au cours d’une réunion critiquant la marginalisation des partis politiques de l’opposition, qu’il s’agisse des partis de gauche ou d’Ennahda, affirmant que cela constituerait un « projet de guerre civile ». 

A l’issue de plus de neuf heures d’interrogatoire, le juge d’instruction a finalement ordonné sa mise en détention sous prétexte que ces déclarations constitueraient des « actes ayant pour but de changer la forme de l’État, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres, et à provoquer le désordre, le meurtre et le pillage sur le territoire tunisien ». 

Accusé par les médias officiels et les partisans du coup d’état d’inciter le peuple tunisien à la « guerre civile », M. GHANNOUCHI a été incarcéré à la prison de Mornaguia où il est actuellement détenu. 

Une première condamnation à l’instigation des syndicats de police 

Déjà, dans le courant du mois de février 2023, M. GHANNOUCHI avait été convoqué et entendu par le pôle judiciaire antiterroriste après qu’une plainte en diffamation a été déposée par un syndicat policier. Ce dernier avait interprété l’oraison funèbre prononcée quelques jours auparavant par l’octogénaire, en hommage à l’un des dirigeants du mouvement Ennahda au sujet duquel il avait affirmé qu’il « ne craignait ni les puissants ni les tyrans », comme une offense à l’appareil sécuritaire. 

Bien que M. GHANNOUCHI eût été remis en liberté dans le cadre de la procédure, il a, contre toute attente, été condamné le 15 mai 2023 à un an d’emprisonnement par le tribunal antiterroriste. Accusé d’avoir prétendument « incité les Tunisiens à s’entretuer », M. GHANNOUCHI a été condamné par défaut, sur le fondement de l’article 14 de la Loi de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme, sans avoir jamais eu la possibilité de se faire légalement représenter, ses avocats n’ayant pas été informés de l’audience. Le 30 octobre 2023, la Cour d’appel de Tunis a confirmé ce dernier jugement tout en alourdissant la peine d’emprisonnement portée à quinze mois. 

Les experts de l’ONU saisis de la situation 

Préoccupée par la privation de liberté de M. GHANNOUCHI en raison de ses déclarations ainsi que sa condamnation pour « apologie de terrorisme » dans le cadre d’une procédure antérieure entachée de graves irrégularités et violations de droits fondamentaux, l’AVTT et Alkarama ont soumis le 05 décembre 2023 son cas au Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires. 

Les deux associations ont démontré que l’arrestation et la détention du président du Parlement tunisien résultent directement de l’usage pacifique de ses droits à la liberté d’expression et d’opinion, ce dernier ayant été privé de liberté au seul prétexte de ses prises de positions politiques publiques, sans qu’il ne soit démontré de quelque manière que ce soit que ses déclarations puissent être interprétées comme des appels à la violence. 

Les autorités tunisiennes n’ont nullement démontré que l’arrestation puis la privation de liberté de M. GHANNOUCHI étaient nécessaires, ses déclarations publiques ne pouvant de toute évidence être interprétées comme constitutives d’une menace pour la sécurité nationale ou encore l’ordre public. 

Les deux ONG ont rappelé que M. GHANNOUCHI a été uniquement interrogé sur les propos qu’il a tenu au cours d’une réunion publique lors de laquelle il a exprimé sa crainte que la marginalisation des mouvements politiques de l’opposition, toutes tendances confondues, ne puisse constituer un « projet de guerre civile ». Ces déclarations ont été utilisées par les autorités pour l’accuser de terrorisme sans qu’aucun autre élément circonstancié ne soit présenté à l’appui de ces graves accusations. 

A noter également que les bureaux du Parti d’Ennahda, premier parti politique du pays, ont été illégalement fermés sur l’ensemble du territoire national par les services de renseignements sur simple décision du président Kaïs Saïed à la suite de l'arrestation de M. GHANNOUCHI. 

Figure politique éminente du pays, M. GHANNOUCHI était la cible des autorités pour avoir critiqué la violation de la Constitution tunisienne et les dérives du président Kaïs Saïed. 

Depuis le coup d’état du 25 juillet, il a publiquement dénoncé un large éventail de violations de droits de l’homme et a prôné la nécessité d’un retour vers un État de droit. Sa privation de liberté est intervenue dans un contexte répressif et une vague d’arrestation à l’encontre de nombreuses autres personnalités dissidentes en particulier issues du mouvement d’Ennahda.