Le sort de l’activiste émirati, Jassem bin Rashid Al-Shamsi, demeure inconnu depuis son arrestation en Syrie le jeudi 6 novembre 2025, à un poste de contrôle dans la capitale Damas. Il aurait été conduit dans un centre de sécurité sans mandat judiciaire ni accusation claire, et tout contact avec lui est coupé depuis.
L’avocat Rachid Mesli, directeur d'Alkarama, a déclaré que « L’arrestation par le nouveau gouvernement syrien d’un opposant émirati connu pour ses positions favorables aux luttes du peuple syrien contre les crimes de l’ancien régime pourrait être le signe d’un manque de respect des nouvelles autorités de Damas envers leurs obligations au titre du droit international des droits de l’homme. Si, de surcroît, elles venaient à le livrer à un pays où la torture est pratiquée de manière systématique, cela constituerait une tache indélébile et une grande déception. » Me Mesli a ajouté que « de telles pratiques risquent de saper les efforts du nouveau gouvernement pour bâtir un État de droit, et envoient des signaux négatifs quant au degré de respect des engagements internationaux de la nouvelle Syrie en matière de droits humains et de conventions auxquelles le pays est partie. »
M. Al-Shamsi était arrivé en Syrie accompagné de son épouse syrienne et de ses enfants avant la chute du régime de Bachar Al-Assad. Il ne possède aucune autre nationalité que celle des Émirats arabes unis, ce qui alimente les craintes que les nouvelles autorités syriennes envisagent de le livrer à son pays d’origine, en violation flagrante de l’article 3 de la Convention contre la torture, ratifiée par la Syrie. Cet article dispose qu’« Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. »
Un lourd passif émirati en matière de torture
Il est largement reconnu que les Émirats arabes unis ont un lourd passif en matière de torture et de mauvais traitements. Alkarama, ainsi que d’autres organisations, ont documenté de nombreux cas, y compris au-delà des frontières du pays. Abou Dhabi y administre notamment des centres de détention secrets dans des pays arabes comme le Yémen, où des formes de torture particulièrement cruelles ont été mises au jour par des vidéos et des témoignages de victimes.
De sérieuses inquiétudes subsistent quant à d’éventuelles pressions exercées par les Émirats sur le nouveau gouvernement syrien pour obtenir la remise de M. Al-Shamsi, en raison de précédents cas d’enlèvements et d’extraditions d’opposants émiratis à l’étranger notamment celui de Khalaf Abdulrahman Al-Rumaithi, citoyen turc livré par la Jordanie aux Émirats, dont on est toujours sans nouvelles.
Après avoir vécu dix ans en Turquie, M. Jassem Al-Shamsi s’était installé en Syrie avec son épouse et ses enfants. Il est reconnu comme l’un des militants arabes les plus engagés en faveur de la révolution syrienne ayant conduit à la chute de l’ancien régime.
D’après des sources émiraties de défense des droits humains, Al-Shamsi figure parmi les accusés dans les affaires politiques connues sous les noms « Émirats 94 » et « Justice et Dignité », et a été condamné à quinze ans de prison, puis à la réclusion à perpétuité, à l’issue de procès entachés de graves violations du droit à un procès équitable.
Alkarama avait déposé une plainte devant le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire concernant ce groupe d’opposants, ce qui avait conduit à l’adoption de l’Avis n° 60/2013, qualifiant leur détention d’arbitraire et exigeant leur libération ainsi qu’une réparation pour le préjudice subi du fait de cette détention et des mauvais traitements.
Activisme d’Alkarama
S’agissant de la situation en Syrie, Alkarama intervient depuis 2004 dans de nombreuses affaires de refoulements d’étrangers, en violation de l’article 3 de la Convention contre la torture. Alkarama participe régulièrement aux travaux du Comité contre la torture, chargé de surveiller le respect des obligations des États parties et a déposé des centaines de plaintes individuelles concernant des disparitions forcées en Syrie, considérées comme une forme de torture.
Dans ce cadre, Alkarama rappelle les recommandations formulées par le Comité contre la torture lors de sa 44ᵉ session en mai 2010, toujours valides et inséparables des obligations internationales de la Syrie, quel que soit le gouvernement en place. Le Comité se disait gravement préoccupé « par les nombreuses informations faisant état de mesures d’expulsion, de refoulement ou d’extradition, touchant, dans bien des cas, des réfugiés ou des demandeurs d’asile reconnus auprès du HCR, en violation du principe de non-refoulement figurant à l’article 3 de la Convention. »
Le Comité se disait également « par les informations selon lesquelles la participation de la République arabe syrienne dans la guerre dite ''contre le terrorisme'' s’est traduite par la détention au secret et le transfert de terroristes présumés en violation du principe de non-refoulement (art. 3).»
Dans ses observations finales, le Comité insistait pour que l’État partie « conformes à l’article 3 de la Convention, y compris la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure et la possibilité d’un contrôle effectif indépendant et impartial des décisions d’expulsion, de refoulement ou d’extradition. En aucune circonstance, l’État partie ne doit expulser, refouler ou extrader une personne vers un État où il y a des sérieux motifs de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements. »
Le Comité recommandait en outre que l’État partie assure « une protection contre le refoulement, notamment en s’abstenant d’expulser ou de renvoyer de force des personnes détentrices d’un certificat de réfugié ou d’un certificat de demandeur d’asile établi par le HCR. En outre, il devrait ouvrir une enquête indépendante sur les allégations relatives à sa participation à des «transferts extrajudiciaires» et informer le Comité de l’issue de cette enquête dans son prochain rapport périodique. »
Alkarama rappelle également les observations finales du Comité contre la torture à la suite de l’examen spécial sur la Syrie, publiées le 1er juin 2012, dans lesquelles le Comité avait expressément demandé à la République arabe syrienne de soumettre un rapport de suivi spécial sur la mise en œuvre des recommandations issues de cet examen, au plus tard le 31 août 2012. L’ancien régime s’y étant soustrait, Alkarama avait alors contribué à cet examen par un rapport alternatif sur la torture systématique et généralisée en Syrie, ainsi qu’à la session d’information des ONG précédant l’examen.
Enfin, dans son rapport présenté au Conseil des droits de l’homme lors du deuxième Examen périodique universel (EPU) le 24 mars 2016, Alkarama avait dénoncé la pratique généralisée et systématique de la torture dans tous les centres de détention sous le contrôle du régime de l’époque et de ses forces alliées, soutenue par un climat d’impunité, un constat qu'Alkarama tient à rappeler une nouvelle fois dans le contexte du nouveau pouvoir en Syrie.