L’ALGERIE RESPONSABLE DES VIOLATIONS COMMISES À L’ENCONTRE DE TEWFIK DJAOU

توفيق جابو

Dans une décision en date du 25 novembre 2022, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a clairement établi une nouvelle fois la responsabilité de l’Algérie du fait des violations subies par une des victimes de la répression des années 90, Toufik DJAOU porté disparu depuis son enlèvement à Constantine par des agents du département des renseignements et de la sécurité (DRS).

Alkarama avait saisi le Comité des droits de l'homme des Nations Unies d'une plainte relative à la disparition de la victime à la demande de son père, M. Mohamed Djaou, aujourd’hui malheureusement décédé, dans le but de faire reconnaître officiellement la responsabilité directe des autorités algériennes.

Mohamed Djaou, alors président de la Coordination Nationale des familles de disparus est un ancien combattant de l'armée de libération nationale (ALN), et avait longtemps exercé en tant qu'officier de police à Constantine après l'indépendance. A ce titre, et en raison de son expérience passée de combattant de l'ALN et d'ancien officier de police, il avait été sollicité plusieurs fois par les services du DRS pour diriger une milice armée à Constantine au prétexte de « la lutte contre le terrorisme ».

Il avait ainsi été convoqué plusieurs fois à la caserne de Bellevue où le commandant du DRS a tenté de le convaincre de s'engager, offres qu'il a régulièrement déclinées. Face à son refus, celui-ci l'a menacé de s'en prendre à lui et à sa famille. Quelques semaines plus tard, il a mis ses menaces à exécution en faisant enlever son fils dans son local commercial au centre de Constantine.

Enlèvement de Tewfik Djaou

Ce jour-là, 29 octobre 1997, Tewkif Djaou alors âgé de 35 ans se trouvait dans sa bijouterie avec son frère Farid et plusieurs employés lorsqu'aux alentours de 9h du matin, des agents en civil et en uniforme, lourdement armés, sont arrivés sur les lieux à bord de plusieurs véhicules. Les témoins présents ont rapporté que les militaires, venus en grand nombre, avaient fermé la rue à la circulation et que seuls trois d'entre eux étaient entrés dans la bijouterie.

Tous ces témoins ont également rapporté que les trois militaires ont alors fouillé les lieux s’emparant de la totalité des bijoux exposés en vitrine avant de demander à la victime d'ouvrir le coffre-fort dont ils ont vidé le contenu, volant également une importante quantité de bijoux et la totalité de la somme d'argent qui s'y trouvait.

Après avoir emporté les bijoux et l'argent, ils ont menotté Tewfik et l'ont introduit de force dans le coffre de l'un des véhicules avant de l'emmener vers une destination inconnue.

Informé de l'arrestation de son fils et réalisant alors que les services du DRS avaient mis leurs menaces à exécution, Mohamed Djaou s'est immédiatement rendu à la caserne de Bellevue et demandé à voir son fils. Les militaires ont totalement nié détenir Tewfik.

La famille de la victime a cependant appris deux mois plus tard par un détenu libéré que leur fils se trouvait bien dans la caserne de Bellevue, témoignage qui sera confirmé le mois de mai suivant par un autre détenu libéré qui précisera même que Tewfik Djaou avait été sévèrement torturé, y compris à l'électricité durant sa détention.

Ni la justice ni les autorités militaires n'ont toutefois reconnu l'arrestation et la détention de Tewfik Djaou en dépit de toutes les démarches et tentatives de son père pour obtenir de ses nouvelles.
Face au déni des autorités, Alkarama, mandaté par le père de la victime s’était alors adressé au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

L’inopposabilité de la Charte pour la réconciliation

Dans sa décision, le Comité a indiqué que les dispositions de la « Charte pour la réconciliation » sont inopposables aux personnes qui invoquent les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Comme dans ses précédentes décisions, l’organe onusien a précisé que l’application de la Charte réduit le domaine d’application du Pacte ratifié par l’Algérie en 1989.

Les nombreuses violations du Pacte commises par les autorités algériennes

La disparition forcée constitue « un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. »
En refusant de reconnaître la privation de liberté de Tewfik Djaou et en dissimulant son sort en dépit des recherches effectuées par sa famille, les autorités algériennes ont délibérément soustrait Tewfik Djaou de la protection de la loi et ont fait peser sur sa vie un risque constant et grave. Les experts indépendants du Comité ont donc considéré que l’Algérie a failli à son obligation de protéger la vie de Tewfik Djaou.

Tewfik Djaou a également été, le 29 octobre 1997, arrêté arbitrairement sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention comme le prévoit le PIDCP. Pour ces raisons, le Comité des droits de l’homme a qualifié sa privation de liberté d’arbitraire.
Par ailleurs, le Comité a de nouveau souligné l’obligation pour les États parties « de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte » en instaurant notamment des mécanismes juridictionnels et administratifs.

Les experts du Comité ont donc reconnu la responsabilité des autorités d’Alger en raison de l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de la Charte qui interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves commis par les services de sécurité.

Le Comité appelle l’Algérie à enquêter sur la disparition de Tewfik Djaou

L’organe onusien a donc totalement rejeté les arguments de l’État partie et fait droit à la demande d’Alkarama en enjoignant aux autorités d’Alger de « mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Tewfik Djaou et de fournir des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ».

L’État partie a également été appelé à le libérer s’il est toujours détenu au secret, à restituer sa dépouille à sa famille dans l’hypothèse où il serait décédé et à poursuivre les responsables des violations commises tout en accordant à la famille une réparation adéquate.

L’Algérie tenue de publier la décision et de fournir des informations au Comité

L’Algérie dispose d’un délai de 180 jours pour informer le Comité des mesures qu’elle aura prises pour donner effet à la décision et à la rendre publique.

Dans le cadre de la procédure de suivi instituée par l’organe onusien relativement à la plainte individuelle, Alkarama accordera, au cours de son prochain programme annuel, une importance particulière à la mise en œuvre de toutes les décisions déjà rendues par le Comité des droits de l’homme pour que la dignité et les droits des victimes et de leurs proches soient enfin rétablis.