L’Algérie condamnée encore une fois par l’ONU pour crime de disparition forcée

Boubekeur FERGANI

Au cours de sa 135ème session, qui s’est déroulée à Genève du 27 juin au 27 juillet 2022, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu à la responsabilité de l’État algérien du fait de la disparition forcée de Boubekeur FERGANI dans les années 1990. Le Comité a statué sur l’affaire à la suite d’une communication d’Alkarama en date du 26 mai 2016.

La victime figure parmi les milliers d’algériens enlevées entre 1992-1998 par les policiers et militaires en Algérie et dont les familles sont restées sans nouvelles à ce jour. En dépit des nombreuses recommandations formulées par le Comité en ce qui concerne ces disparitions, les autorités refusent, encore aujourd’hui, de faire la lumière sur les circonstances de ces crimes et de traduire leurs auteurs en justice se prévalant des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui instaure une impunité généralisée au profit de leurs auteurs.

Disparition de Boubekeur Fergani

Professeur d'histoire et père de cinq enfants, Boubekeur Fergani avait été enlevé à son domicile à Constantine (nord-est) dans la nuit du 22 juin 1995 par une dizaine d'agents en tenue civile et militaire accompagnés d'un informateur cagoulé.

Depuis cette nuit, sa famille ne l'a plus jamais revu.

Dans la même nuit, une opération de grande envergure dans la ville déclenchée par l’armée avait visé de nombreux militants et sympathisants du Front islamique du salut (FIS). Certains d'entre eux avaient été sommairement exécutés par les militaires de sorte que le lendemain matin, de nombreux cadavres jonchaient certaines rues de Constantine et des environs.

L'épouse de la victime, Mme Boutarsa, qui l'a recherché en vain parmi les cadavres, n'a eu de cesse de demander que la lumière soit faite sur le sort de son époux. Quelques jours après son arrestation, celle-ci s'était rendue dans les casernes du « Département du renseignement et de la sécurité » (DRS), les commissariats de police et les tribunaux de Constantine espérant obtenir des informations, en vain.

Face au silence des autorités, l'épouse a formellement déposé une plainte pour enlèvement et séquestration auprès du Procureur, mais aucune enquête n'a jamais été ouverte par la justice comme dans les milliers de cas de disparitions forcées.

Ce n'est que deux années plus tard que Mme Boutarsa a été convoquée par la gendarmerie nationale de la brigade de Mansourah pour se voir notifier que des « recherches concernant la disparition de son époux n'avaient pas abouties ».

Face à l’impossibilité d’obtenir la vérité sur le sort de son époux, Mme Boutarsa avait mandaté Alkarama pour saisir le Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui veille au respect de l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ou PIDCP) ratifié par l’Algérie en 1989.

L’inopposabilité de la Charte pour la réconciliation

Dans sa décision rendue au cours de la 135ème session, le Comité a rappelé que l’État partie ne peut invoquer la « Charte » jugée incompatible avec les dispositions du Pacte dès lors qu’elle instaure une impunité généralisée pour les membres de la police et de l’armée, auteurs de crimes graves. Saisi par Alkarama à l’occasion d’autres affaires de disparitions, l’instance onusienne avait déjà souligné l’inopposabilité de la Charte aux « personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité ».

Le Comité reconnaît le caractère arbitraire de la privation de liberté de la victime

Fergani a été arrêtée sans mandat et sans avoir été inculpé. Il n’a jamais été présenté devant une autorité judiciaire afin qu’il puisse contester la légalité de sa détention tel que le prévoit le PIDCP auquel est partie l’Algérie. Pour ces raisons, les experts de l’ONU ont qualifié d’arbitraire la privation de liberté de la victime.

L’Algérie a violé le Pacte quant à son devoir de protection

L’Algérie a failli à son obligation de protéger la vie de Fergani, a conclu le Comité, la définition même de la disparition forcée impliquant « un ensemble unique et intégré́ d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument » dont le droit à la vie.

En l’espèce, en niant la détention de la victime à la suite de son arrestation et en s’abstenant de fournir des informations quant à son sort, l’État partie a manqué, selon les experts du Comité, à son devoir de protection.

L’État partie, coupable de détention au secret

Le Comité a également relevé que le refus des autorités de reconnaître la privation de liberté de la victime et de divulguer son lieu de détention, alors même que d’anciens codétenus de Fergani avaient affirmé avoir été détenus au secret avec lui au Centre territorial régional d’investigation (CTRI) de Constantine, constitue une forme de de torture.

Par ailleurs, l’organe onusien a affirmé que « la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par ses proches pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés ».

Par la même occasion, il a été rappelé aux autorités algériennes son obligation de garantir à toute personne des recours « accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte » notamment à travers l’instauration de « mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte ». 

Le Comité appelle l’Algérie à enquêter sur la disparition de Fergani

Enfin, l’organe onusien a fait droit à la demande d’Alkarama en exhortant les autorités algériennes à « mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Boubekeur Fergani et de fournir des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ». L’État partie a également été appelé à le libérer s’il est toujours détenu au secret, à restituer sa dépouille à sa famille dans l’hypothèse où il serait décédé et à poursuivre les responsables des violations commises tout en accordant à la famille une réparation adéquate.

L’Algérie tenue de publier la décision et de fournir des informations au Comité

L’Algérie dispose d’un délai de 180 jours pour informer le Comité des mesures qu’elle aura prises pour donner effet à la décision et à la rendre publique.

Dans le cadre de la procédure de suivi instituée par l’organe onusien relativement à la plainte individuelle, Alkarama accordera, au cours de son prochain programme annuel, une importance particulière à la mise en œuvre de toutes les décisions déjà rendues par le Comité des droits de l’homme pour que la dignité et les droits des victimes et de leurs proches soient enfin rétablis.

Comme souligné par Alkarama dans son rapport relatif à la situation des droits de l’homme en Algérie dans la perspective de son prochain examen périodique (EPU) par le Conseil des droits de l’homme prévu le 11 novembre 2022, les autorités algériennes font régulièrement preuve de mauvaise foi et s’abstiennent de collaborer avec les organes conventionnels et les procédures spéciales des Nations Unies dans la mise en œuvre des recommandations finales et des décisions individuelles.

Cette absence de coopération a notamment été relevée dans le rapport de conformité́ des États parties aux organes de traités relatifs aux droits de l'homme en date du 31 décembre 2019, la coopération de l’Algérie avec les organes conventionnels étant la plus faible des Etats membres des Nations Unies.