Aujourd'hui s'achève la visite inédite de trois jours d'une délégation du Comité international de coordination des institutions nationales (CIC) des Nations unies à Alger présidée par Mme Rosslyn Noonan. Le comité de l'ONU, chargé d'évaluer la conformité des institutions nationales des droits de l'homme (INDH) avec les Principes de Paris, a été invité par Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de promotion des droits de l'homme (CNCPPDH - INDH algérienne) dans le but affiché de "renforcer les liens de coopération et de collaboration entre l'Algérie et le système des droits de l'homme des Nations Unies". Alkarama s'étonne de constater qu'aucun membre de la société civile n'a été associé à cette visite et voit là l'occasion pour la très contestée Commission de "redorer son blason" et tenter de regagner son statut A.
Un huis-clos diplomatique? La société civile écartée
La visite de la délégation du CIC à Alger sonne un peu comme un désaveu du rôle de la société civile en Algérie et n'est guère surprenant au vu de l'absence totale de collaboration entre l'INDH et la société civile algérienne. Au cours de cette visite, aucune organisation des droits de l'homme ou média indépendant n'a été invité à participer aux échanges entre la délégation de l'ONU, les membres de l'INDH algérienne et les responsables algériens sur la situation des droits de l'homme en Algérie et le rôle de la Commission Ksentini. Le plus étonnant est la présence de Rezzag Bara, ex-président de l'Observatoire national des droits de l'homme (ONDH) installé par le régime militaire au lendemain du coup d'état de janvier 1992 et promu aujourd'hui conseiller particulier du président Bouteflika à la sécurité.L'ONDH avait été constamment dénoncé par les militants et les ONG des droits de l'homme durant la décennie noire en raison de son silence, voire de sa complicité directe dans les très graves violations des droits de l'homme commises durant la décennie noire.
Alors que la présidente de la délégation Mme Rosslyn Noonan avait déclaré qu'il "y avait beaucoup de travail à faire" sur la situation des droits de l'homme, elle n'a pu discuter avec aucun représentant de la société civile. Convié à participer à la rencontre par la Commission Ksentini, Me Mustapha Bouchachi, président de la LADDH, a décliné l'invitation au motif qu'il appartenait au CIC de prendre directement contact avec la ligue « pour une rencontre bilatérale" qui aurait été « l'occasion d'aborder toutes les questions des droits de l'homme, notamment le rôle de la CNPPDH » et que la commission a toujours « défendu le pouvoir politique ».
Il est à regretter que la délégation du CIC n'ait pu rencontrer les membres de la société civile non autorisés, en particulier les associations de familles de disparus qui n'ont pas manqué de manifester publiquement leur désapprobation à cette visite à sens unique. Cela est d'autant plus regrettable que le sous-comité d'accréditation avait pu relever par le passé l'absence de relations de collaboration entre l'INDH et les acteurs de la société civile. Il ne fait aucun doute que l'invitation du CIC à Alger a pour but de le convaincre de revenir sur sa décision prise en 2009 de rétrograder la CNCPPDH, le statut A lui ayant été retiré en mars 2009 en raison de sa non-conformité avec les principes de Paris et notamment son absence d'indépendance vis-à-vis des autorités.
En marge de la rencontre avec le CIC, Me Ksentini a expliqué à El Moudjahid, quotidien algérien proche du régime, que cette visite était « l'occasion de remettre les choses à leur place » et de « leur donner une image qui reflète la réalité des droits de l'homme en Algérie », image ternie par « les ennemis de l'Etat », i.e. les ONG et les groupes de la société civile non agréés.
Statut B, Status quo
Au cours des dernières années, Alkarama a soumis de nombreuses informations au Sous-comité d'accréditation du CIC sur la Commission Ksentini et plus généralement sur la situation des droits humains en Algérie, relevant l'absence d'indépendance de cette institution créée par le pouvoir à laquelle elle est acquise et dont la principale préoccupation a été de dissimuler l'ampleur des crimes et violations graves des droits de l'homme commis par les services de sécurité algériens pendant la guerre civile des années 1990. Alkarama interpelle le CIC pour lui rappeler la nécessité de consulter tous les acteurs de la société civile algérienne, déterminants dans l'évaluation objective de la situation des droits de l'homme en Algérie et du rôle de l'INDH algérienne, et non de se limiter à une discussion bilatérale avec une institution dont l'impartialité a été largement remise en question par les organisations des droits de l'homme algériennes.