Alkarama et l'Association internationale pour la protection des droits de l'homme (LIPDH) ont informé le Comité des droits de l'homme de l'ONU qu'Ahmed Khalil Mahmoud BRAIH - connu sous le nom d'Ahmed BRAIH -, victime de disparition forcée, a été détenu à la prison de Blida à Alger sous un autre nom attribué par les autorités pour, selon sa famille, dissimuler sa détention.
Le 17 novembre 2016, Alkarama s'était adressée aux Nations Unies au sujet d'Ahmed Khalil Mahmoud BRAIH, l'un des fondateurs et principaux dirigeants du Front Polisario, enlevé par des membres du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) au cœur d'Alger le 6 Juin 2009 après avoir exprimé un profond désaccord avec les autres chefs du mouvement, notamment en raison des graves violations commises dans les camps de réfugiés de Tindouf.
Changement d'identité de la victime
A la suite d’une plainte déposée par Alkarama, le Comité des droits de l'homme a rendu, le 27 juillet 2020, une décision dans laquelle il a condamné les autorités algériennes notant qu’Ahmed BRAIH était victime de détention secrète du fait des « autorités algériennes et (est) victime, avec sa famille, de disparition forcée ».
La famille de la victime a affirmé avoir poursuivi, en vain, ses recherches pendant toutes ces années, s’adressant à de nombreuses autorités et intermédiaires pour s’enquérir sur le sort et le lieu de détention de la victime. Finalement, la famille a reçu l'information selon laquelle la victime était enregistrée auprès de l'administration pénitentiaire sous le pseudonyme « Ould Mahmoud El Khalil Ahmed » au lieu de son vrai nom « Ahmed Khalil Mahmoud BRAIH » dans le but d’exonérer les autorités de leur responsabilité du fait de sa disparition forcée.
Décision de l'ONU
Dans sa décision rendue à la suite de la plainte déposée par Alkarama, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a affirmé qu’Ahmed BRAIH « continue d'être détenu au secret par les autorités algériennes et est victime, avec sa famille, d'une disparition forcée depuis le 6 janvier 2009 à avril 2011, puis depuis avril 2011 Jusqu’à maintenant.»
Le Comité a reconnu que cette situation constitue une forme de torture, non seulement contre la victime mais aussi contre sa famille en raison de l'extrême souffrance causée par la disparition d'un être cher.
Dans une décision publiée le 27 juillet 2020, les experts du Comité ont reconnu l'impossibilité juridique de recourir à un organe judiciaire, après que l'État partie ait effectivement délégué ces pouvoirs aux autorités du Front Polisario, ainsi que l'absence de recours effectifs pour les personnes détenues dans les camps de Tindouf, privant ainsi Ahmed BRAIH et l'auteur de tout recours effectif.
Dans sa décision, le Comité a appelé l'État algérien à mener une enquête rapide, efficace, approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition d'Ahmed Khalil Mahmoud BRAIH et à fournir à l'auteur des informations détaillées sur les résultats de cette enquête.
Le Comité a ajouté que l'État partie devrait libérer immédiatement Ahmed Khalil Mahmoud BRAIH s'il est toujours détenu au secret, et de restituer, en cas de décès de la victime, sa dépouille à sa famille dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes culturelles et aux traditions de la victime. Enfin, il a été demandé aux autorités de poursuivre en justice les auteurs de ces graves violations et d'accorder à la victime et à sa famille des réparations intégrales, y compris une indemnisation appropriée.
En ce qui concerne les réfugiés sahraouis vivant dans les camps de Tindouf, le Comité a rappelé que le transfert de pouvoirs par l'État algérien au Front Polisario n'exonère pas les autorités algériennes de leurs responsabilités en matière de protection des droits de l'homme des habitants des camps de Tindouf. Cela signifie que l'État algérien doit garantir la liberté et la sécurité de tous ceux qui s'y trouvent, et garantir l'accès aux tribunaux algériens.
Action d’Alkarama
Ahmed BRAIH a été arrêté le 6 juin 2009 alors qu'il se rendait à l’Université d’Alger pour une conférence à la demande du secrétariat général du Polisario. Dans la matinée du 6 janvier 2009, et alors qu'il sortait de la représentation du Polisario, près du musée du Bardo au centre d'Alger, pour se rendre à l'Université, il a été forcé de monter dans un véhicule banalisé où se trouvaient des personnes en civil et fut emmené vers un endroit inconnu.
Dans les jours qui ont suivi, ses proches ont contacté les dirigeants du Polisario pour s'enquérir de son sort, sans succès. Deux mois plus tard, un membre du Front Polisario les a informés qu'il se trouvait à la prison militaire de Blida et qu'il lui avait rendu visite. Ni les autorités algériennes ni le Polisario ne les ont informés des raisons de son arrestation et de sa détention, malgré leurs nombreux efforts.
En avril 2011, après de multiples tentatives auprès du secrétaire général du Polisario le fils aîné de la victime a pu obtenir l'autorisation de rendre visite à son père à la prison militaire de Blida où il s'est rendu accompagné d'un membre du Polisario.
A cette occasion, le fils de la victime a pu s'entretenir avec lui une vingtaine de minutes sous une stricte surveillance de militaires algériens se contentant de lui donner des nouvelles générales de la famille. Il n'a cependant pu obtenir aucune information sur les raisons de son arrestation et de sa détention et sur une éventuelle procédure judiciaire devant le tribunal militaire.
C'est la dernière fois qu'Ahmed Khalil a été vu par son fils qui est néanmoins revenu plusieurs fois à la prison militaire les semaines suivantes pour tenter de rendre de nouveau visite à son père et lui remettre des vêtements et des effets personnels. Il ne fut toutefois pas autorisé à le revoir, les militaires de garde à l'entrée lui ayant seulement affirmé qu'il pouvait laisser ces effets personnels et que ceux-ci allaient lui être remis. Les proches d’Ahmed BRAIH ont insisté pour obtenir sa libération faisant l’objet de menaces de la part des membres du Polisario, certains même ayant été empêchés de quitter les camps de Tindouf .
Face au déni du Polisario et après avoir épuisé tous les moyens locaux possibles, le fils de la victime, Rachid BRAIH, a déposé par le biais d’Alkarama, courant octobre 2014, une plainte auprès du Groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées.
Cependant, les autorités algériennes ont refusé de fournir des informations sur le sort d’Ahmed BRAIH. La plupart des fils d’Ahmed BRAIH ont dû fuir les camps de Tindouf et se réfugier à l'étranger par crainte de représailles.
Mandaté par la famille de la victime, Alkarama a finalement soumis son cas au Comité des droits de l'homme, leur demandant d'appeler l'État partie à respecter ses obligations internationales en matière de droits de l'homme et à libérer Ahmed BRAIH et, en tout état de cause, à le placer sous la protection de la loi.
A la lumière de ces récents développements, Alkarama et l'Association internationale pour la protection des droits de l'homme (LIPDH) se sont une nouvelle fois adressées aux Nations Unies afin de mettre fin aux souffrances de d’Ahmed BRAIH et de sa famille, soulignant la nécessité pour l'Etat algérien, en tant que partie au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de se conformer aux demandes du Comité des droits de l'homme des Nations Unies à l'égard de la victime et de sa famille, et de garantir les droits de tous les réfugiés Sahraouis dans les camps de Tindouf.