Yémen/Etats-Unis: License to kill; Pourquoi la guerre des drones américaine au Yémen viole le droit international

Yemen/USA: License to Kill; Why the American Drone War on Yemen Violates International Law

Les assassinats ciblés dans la politique de lutte anti-terroriste américaine, notamment par l'utilisation de drones, doivent être considérés et qualifiés d'exécutions extrajudiciaires.

Genève/Sanaa – Depuis la première frappe aérienne en novembre 2002 jusqu'au mois de juillet 2013, les Etats-Unis ont effectué entre 134 et 234 opérations militaires au Yémen dans le cadre de leur « guerre contre le terrorisme ». Ces opérations comprennent des frappes par avions, par drones ou l'envoi de missiles à partir de navires de guerre stationnés dans le golfe d'Aden. Le nombre de morts causées par ces frappes varie entre 1000 et 2000 selon les sources. Bien qu'à ce jour ni les autorités yéménites, ni les autorités américaines n'aient avancé de chiffres de décès, Dennis Kucinich, un représentant du congrès américain, affirme que le nombre de cibles de haut niveau tuées représente environ 2 % du nombre total de victimes;  la grande majorité des victimes étant des civils.

« Le Yémen, après le Pakistan, est devenu un laboratoire des nouvelles méthodes de guerre qui constituent une révolution sur le plan technique, mais également politique et légal. », a déclaré Karim Sayad, Responsable juridique à Alkarama pour la région du Golfe.

Le rapport de 90 pages « License to kill ; pourquoi la guerre des drones américaine au Yémen viole le droit international » publié aujourd'hui vise à présenter les résultats des recherches de terrain effectuées par Alkarama, à analyser la stratégie américaine dans le cadre de sa « guerre contre le terrorisme » à la lumière du droit international et faire le point sur les réactions des Etats-Unis, des autorités et de la société civile yéménites face à cette grave dérive.

Ce rapport est le résultat de plusieurs enquêtes sur le terrain menées à travers tout le Yémen en 2012 et en 2013 par Mohamed Al-Ahmady, le directeur du bureau au Yémen d'Alkarama en collaboration avec l'ONG yéménite de défense des droits de l'homme HOOD. La délégation s'est rendue sur plusieurs sites d'attaques de drones en vue de recueillir des témoignages de victimes d'attaques, de leurs familles et avocats. Alkarama a également pu mener des entretiens avec des représentants du gouvernement et de la société civile yéménites.

L'Etat yéménite est dirigé depuis février 2012 par Abd al-Rab Mansour al-Hadi qui a pris la relève de Ali Abdallah Saleh contraint, après 33 années de règne, à la démission par de spectaculaires révoltes populaires. Alors que le pays est alors entré dans une phase de transition avec un « dialogue national », engagé depuis mars 2013 entre différentes composantes politiques de la société yéménite, l'actuel chef d'Etat s'engage fortement aux côtés des Etats-Unis mettant à leur disposition le territoire et justifiant leur intervention militaire, allant jusqu'à s'en attribuer la responsabilité, ce qui exacerbe les tensions avec la population qui exige un arrêt des frappes militaires américaines.

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, l'administration américaine s'immisce directement dans un conflit interne multidimensionnel entre le pouvoir central yéménite et de multiples mouvements d'opposition parmi lesquels des groupes armés de tendance djihadiste – al-Qaida et Ansar al-Sharia – mais également le mouvement sudiste et différentes tribus qui contestent sa légitimité.
Les Etats-Unis n'ont jamais déclaré de guerre au Yémen, et pour justifier une intervention dans un pays qui ne représente aucun danger pour eux et dont le gouvernement est considéré comme un allié, la résolution du 14 septembre 2001 dite AUMF (Authorization to Use Military Force) qui préconisait clairement la lutte contre ceux liés de près ou de loin aux attentats du 11 septembre 2001 a été élargie pour s'appliquer sur ce qui dorénavant est désigné par « les forces associées » à al-Qaida. Ce terme qui ne figure pas dans l'AUMF fait irruption jusque dans les discours du Président Obama ou les textes officiels de la Maison-Blanche et s'impose pour légitimer la guerre contre des groupes pour lesquels des liens avec al-Qaida ne sont pas toujours établis.

« Quel que soit le contexte dans lequel se déroule l'intervention militaire américaine, l'armée américaine et la CIA utilisent des drones et autres avions militaires, ou des navires de guerre, pour commettre des assassinats ciblés qui doivent être considérés et qualifiés d'exécutions extrajudiciaires. », a déclaré Karim Sayad. «Qu'il s'agisse de victimes civiles ou de combattants présumés d'al-Qaida et « forces associées », la politique américaine d'assassinats ciblés au Yémen constitue une violation flagrante du droit international des droits de l'homme. ».

En réalité, les services impliqués visent également de simples combattants anonymes, non-identifiés et sans que des charges soient retenues contre eux. Les civils font quant à eux les frais d'erreurs humaines et techniques que les responsables politiques et militaires américains sont prêts à accepter dans le but de poursuivre leur programme d'exécutions ciblées.

Recommandations aux gouvernements américain et yéménite; au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies:

- Au gouvernement des États-Unis :

  1. Mettre un terme définitif à la pratique des exécutions extrajudiciaires et à la politique des assassinats ciblés par l'usage de drones et tous autres moyens militaires ;
  2. Engager des enquêtes indépendantes et impartiales et prendre des mesures de nature judiciaire à l'encontre des auteurs d'actes ayant conduit à des violations du droit à la vie;
  3. Accorder une réparation complète aux victimes des frappes américaines et/ ou à leurs ayants droit.

- Au gouvernement yéménite :

  1. Mettre un terme définitif à toute politique portant atteinte à la souveraineté nationale du pays y compris en autorisant des forces armées étrangères à intervenir dans l'espace aérien ou sur le sol national, conformément à l'article 48 de la constitution qui prévoit que « l'État garantit à ses citoyens leur liberté personnelle ; il protège leur dignité et leur sécurité ».
  2. Engager des enquêtes indépendantes et impartiales et prendre des mesures de nature judiciaire à l'encontre des auteurs d'actes ayant conduit à des violations du droit à la vie;
  3. Prendre les mesures législatives nécessaires de nature à interdire et à criminaliser la pratique des exécutions extrajudiciaires par l'usage de drones et tous autres moyens militaires.

- Au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies:

  1. Condamner la pratique des exécutions extrajudiciaires commises par les forces armées américaines à travers l'adoption d'une Résolution du Conseil des droits de l'homme.

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