Maroc : Mohamed Attaoui, défenseur des droits humains et de l'environnement, annonce une grève de la faim en détention

محمد عطاوي

Mohamed Attaoui, détenu politique marocain et militant écologiste, a entamé une grève de la faim pour protester contre l'absence de décision dans le cadre d’une affaire montée de toutes pièces. 

Attaoui, membre de l'Autorité nationale pour la protection des fonds publics, est détenu à la prison locale de Midelt, dans l'est du Maroc, depuis le 8 décembre 2023, sur fond d’accusations d'outrage à des fonctionnaires dans le cadre d’une affaire selon lui fabriquée de toute pièce. En grève de la faim, il exige que son cas soit examiné, tranché et qu'il soit immédiatement libéré. 

Alkarama porte l’affaire devant l’ONU 

Le 22  août 2023, Alkarama s'est adressé au  Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme et l'environnement concernant le cas de Mohamed Attaoui, militant des droits de l'homme et de l'environnement, victime de représailles et d'intimidations de la part des autorités locales de la région du Moyen Atlas pour avoir dénoncé la contrebande de cèdres dans les communautés rurales de la région. 

Dénonciation de la contrebande de bois de cèdre 

Originaire de la commune de Tounfit, Attaoui qui travaillait comme technicien auprès des collectivités locales est président de l'association « Avenir pour le cèdre et le Mouflon ». Depuis sa création en 2006, il se bat pour la préservation de la forêt de cèdres de l'Atlas (sud-est du Maroc), patrimoine forestier national s'étendant sur des milliers d'hectares et menacé d'extinction à cause de l'exploitation forestière illégale. 

Cette exploitation effrénée dont Attaoui est témoin depuis de nombreuses années est régulièrement dénoncée par la population locale. Les habitants de la commune de Sidi Yahya Ou Youssef, un village du gouvernorat de Midelt, où une grande partie de la forêt de cèdres a été détruite, n'ont cessé de dénoncer ce massacre environnemental qu'ils vivent au quotidien. 

Dans la nuit du 11 au 12 février 2010, plusieurs camions, transportant chacun des dizaines de bois de cèdre, ont traversé leur communauté à la vue de tous. Face aux protestations exprimées par les habitants, la Gendarmerie de Tounfit a finalement décidé de n'arrêter qu'un seul de ces camions et de dresser un procès-verbal pour déférer le chauffeur au Procureur Général. 

Dans un article daté du 16 février 2010 paru dans le journal local « Al Monataf », Attaoui a relaté ces faits en dénonçant le silence des autorités locales et ceux qu'il a qualifié de « mafia du cèdre ».  En parallèle, son association « Avenir pour le cèdre et le mouflon » a publié un rapport sur les conséquences environnementales de ce trafic et s'est constituée partie civile dans la poursuite du chauffeur routier arrêté quelques jours plus tôt. 

Arrestation d'Attaoui 

Le 8 mars  2010, vingt jours après la publication de son article et trois jours avant le procès au cours duquel Attaoui devait représenter son association, il a été interpellé sans mandat sur la voie publique par plusieurs gendarmes. Brutalisé et menotté dans le dos, Attaoui a été inculpé de possession de stupéfiant et emmené directement à la brigade de Tounfit avant d'être transféré illégalement dans une voiture civile au poste de police de Midelt, situé à  90 kilomètres. Il a été arrêté et n'a pas été autorisé à communiquer avec sa famille, et son avocat qui n'a pu lui rendre visite que le 12 mars 2010. De plus, aucun des commissariats de police de Tounfit et de Midelt n'a reconnu sa détention lorsque son épouse a essayé de le contacter. 

À l'issue de sa garde à vue, il a été contraint d’apposer ses empreintes digitales sur un procès-verbal rétrospectif de la gendarmerie indiquant que l'arrestation avait eu lieu à Midelt la veille vers 19 heures. Le lendemain, alors qu'il comparaissait devant le procureur, il a eu la surprise de découvrir qu’il était inculpé d'autres chefs d'accusation, notamment d'« outrage au roi », de « faux », d'« extorsion »  et d'« escroquerie », alors qu'il avait d'abord été arrêté sous prétexte de possession de stupéfiants. 

Devant le procureur, Attaoui a tenté en vain d'expliquer les véritables raisons de son arrestation en déclarant qu'il avait été forcé de signer le procès-verbal en y apposant ses empreintes digitales. Attaoui a comparu devant le tribunal de première instance de Midelt le 19 mars 2010 et a été condamné à deux ans d'emprisonnement et à 20 000 dirhams de d’indemnités pour avoir prétendument extorqué 1 000 dirhams (90 euros) à un collègue qui avait été contraint de témoigner contre lui. À la suite d'un appel, le 13 juin 2010, et après plusieurs reports d'audiences, sa peine a été réduite à un an de prison et à 10 000 dirhams d'indemnités. 

Pendant son incarcération, Attaoui a été torturé à plusieurs reprises. Il a notamment été frappé par plusieurs agents pénitentiaires à l'aide d'un tuyau en caoutchouc sur diverses parties du corps, et est resté dans des positions difficiles pendant plusieurs heures, les yeux bandés, suspendu au plafond par les pieds. 

Suspension et nouvelle condamnation 

Après avoir purgé l'intégralité de sa peine, Attaoui n'a pas repris ses fonctions et n'a été officiellement suspendu que le 1er septembre 2012, sur ordre du président de la région de Tounfit. Sans emploi ni ressources pour subvenir aux besoins de sa famille, Attaoui a poursuivi sa campagne, dénonçant la contrebande de bois de cèdre et le silence des autorités locales. 

C'est pour cette raison qu'il a été convoqué par le procureur général le 21 janvier 2013, cette fois avec l'intention de le poursuivre pour « usurpation d'identité » alors qu'il n'exerçait aucune fonction à ce moment-là. Il a comparu devant le juge d'instruction, a de nouveau été placé en détention sous mandat d'arrêt et, le 14 février 2013, il a été condamné à dix mois supplémentaires de prison pour « exercice d'une fonction publique sans autorisation » sur la base de l'article 262 du code pénal, après que ses déplacements dans la forêt aient été considérés comme illégaux. 

Au cours de ce nouveau procès, Attaoui a tenté de faire valoir qu'il avait fait l'objet de représailles et qu'il avait été suspendu de ses fonctions en raison de sa dénonciation de la contrebande locale de cèdres. Bien qu’il ait produit des vidéos et des photos au tribunal dans lesquelles il sensibilisait le public à l'étendue des dégâts causés à la forêt de cèdres, le juge a refusé d'entendre les arguments de la défense et d’auditionner les témoins. 

Au cours de sa deuxième peine d'emprisonnement, Attaoui a été constamment détenu dans des conditions extrêmement difficiles et privé de tout contact avec le monde extérieur, à l'exception de sa famille. Après que son cas ait été soumis à l’ONU et que plusieurs ONG aient dénoncé les pratiques des autorités à son encontre, il s'est vu refuser tout contact avec ces ONG. 

Le Rapporteur spécial saisi de l'affaire 

Dans son premier rapport au Conseil des droits de l'homme, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et l'environnement a souligné que les droits de l'homme et l'environnement sont interdépendants. Selon cette interdépendance, un environnement sûr, propre, sain et durable est essentiel à la pleine jouissance d'une série de droits de l'homme, et vice versa, la jouissance des droits de l'homme est indispensable à la protection de l'environnement. 

Dans sa plainte, Alkarama a déclaré que les violations subies par Attaoui contreviennent aux obligations du Maroc en matière de droits de l'homme liées à la jouissance d'un environnement sûr, propre, sain et durable. 

En soumettant Attaoui à des poursuites pénales et administratives, le Maroc est contrevenu à ses obligations en matière de droits de l'homme, telles que la liberté d'expression, exercées dans le domaine de l'environnement et a manqué à son devoir de protection. 

Alkarama a noté que le caractère disproportionné de la peine infligée à Attaoui pour avoir prétendument extorqué une petite somme à un collègue reflète en réalité la volonté des autorités marocaines de le punir pour avoir dénoncé le commerce du cèdre. 

En l'espèce, Attaoui a été arrêté en représailles à l'exercice pacifique de ses droits à la liberté d'expression et d'association garantis par les articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et les articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.