Le Prix Alkarama 2015 honore la détermination d'un parlementaire omanais à responsabiliser le gouvernement

À l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme, la Fondation Alkarama a présenté, le 8 décembre 2015, son 7ème prix annuel pour les défenseurs des droits de l'homme dans le monde arabe au militant des droits de l'homme omanais et ancien membre du Parlement, Talib Al Mamari, en reconnaissance de son important travail de défense des droits de l'homme dans son pays, en particulier depuis la répression de la société civile qui a suivi les manifestations de 2011. La cérémonie, qui s'est tenue au Centre œcuménique de Genève, a loué le courage du parlementaire, qui n'a jamais hésité à défendre ses compatriotes devant le Parlement et est resté à leur cotés face aux politiques arbitraires du gouvernement, notamment celles liées à la santé des citoyens de sa région natale de Liwa.

En recevant symboliquement le prix au nom de Talib Al Mamari, toujours détenu à la prison Smaa'il près de Muscat, le politicien suisse Ueli Leuenberger a répondu aux observations qu'« il y aurait des pays de la région où la situation est bien pire qu'à Oman » en rappelant à l'assemblée que « les droits de l'hommes sont indivisibles^» et « doivent être encouragés et promus partout », en particulier parmi les États qui, comme Oman, « répriment et enferment les plus nobles de ces femmes et hommes ».

Parmi les autres intervenants figuraient l'expert de l'ONU et du droit international, Sétondji Roland Adjovi, et les spécialistes du Golfe d'organisations internationales des droits de l'homme, Adam Coogle de Human Rights Watch et Radidja Nemar d'Alkarama.

Ouvrant la cérémonie, Mourad Dhina, Directeur exécutif d'Alkarama, a dit: « Cette année, Alkarama a décidé d'octroyer son prix annuel à une figure de la résistance pacifique à l'oppression dans la région du Golfe arabe [...]. Dans la société omanaise et le golfe en général, Talib Al Mamari personnifie le combat pour que les droits des citoyens soient garantis et que les gouvernements deviennent responsables devant eux. Sa détention arbitraire n'est malheureusement pas surprenante dans une région où les gouvernements continuent de percevoir à tort ces demandes légitimes et non violentes comme des 'affronts' et des atteintes à la 'stabilité'. »

Élu au Conseil de la Choura en 2011, Talib Al Mamari a été arrêté deux jours après avoir participé à une manifestation pacifique contre les effets néfastes de la pollution pétrochimique, le 24 août 2013, et condamné à quatre ans de prison et 700 rials (environ 1.300 US dollars) d'amende pour « atteinte au prestige de l'État », « encombrement de la voie publique » et « rassemblement illégal ».

S'adressant à l'assemblée depuis la Jordanie, Adam Coogle, chercheur sur le Moyen-Orient à Human Rights Watch, qui a rencontré la famille Al Mamari à la mi-2014, a déclaré, « nous pensons que Talib Al Mamari n'aurait jamais du être inculpé en premier lieu », expliquant qu'« Oman l'a probablement persécuté parce qu'en tant qu'élu, il était très critique envers les politiques du gouvernement omanais », et appelant le gouvernement à « mettre un terme à la répression brutale des militants de droits de l'homme et des dissidents pacifiques », ainsi qu'à « modifier certaines de ses lois vagues qu'il utilise pour restreindre les droits fondamentaux ».

En effet, « derrière l'image d'un pays touristique et progressif dont jouit Oman auprès du grand public, se cache une toute autre réalité », a continué Radidja Nemar, juriste pour la région du Golfe à Alkarama. « C'est l'un des seuls pays qui n'a pas accédé à la Convention contre la torture (UNCAT), un pays qui est tenu par un pouvoir monarchique absolu, qui criminalise toute critique et ne donne pas à son peuple la possibilité de participer à la vie politique de leur pays ».

Le Majliss Al Choura ou 'Conseil de la consultation', dont Talib Al Mamari était membre, fonctionne comme un parlement élu, mais ne détient, comme son nom l'indique, qu'un pouvoir de consultation et non de décision. Ainsi, explique Mme Nemar, « lorsque Talib a fait usage de sa position pour demander des comptes aux gouvernants, les représailles qu'il a subies en retour avaient pour but de lui rappeler qu'il n'était pas là pour donner son avis, sauf si celui-ci était en accord avec les autorités » et cela, en dépit de l'immunité parlementaire qui était sensée le protéger.

Parlant au nom du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA), le deuxième vice-président, Sétondji Roland Adjovi, a exprimé son admiration pour le militant d'Oman. « Talib a été un défenseur des droits de l'homme exceptionnel, luttant pour les droits de ses concitoyens mais aussi pour les générations futures, défendant le droit à un environnement sain et propre et contre l'importante pollution continue subie par la région. Il a également été très critique de son gouvernement comme tout représentant élu devrait l'être afin que le bien-être de la population puisse s'améliorer continuellement ».

Voilà pourquoi le GTDA a considéré sans réserve que sa détention était arbitraire et a conclu que « le gouvernement doit non seulement libérer Dr Al Mamari, mais aussi lui accorder un droit exécutoire à réparation ». Malgré l'avis adopté par le Groupe de travail de l'ONU, Talib Al Mamari est toujours détenu à la prison Smaa'il près de Muscat.

En son absence, Rachid Mesli, Directeur juridique et co-fondateur d'Alkarama, a remis le prix Alkarama 2015 aux bons soins du politicien Suisse Ueli Leuenberger, qui a gagné la reconnaissance en tant que parlementaire pour sa défense infatigable des droits de l'homme et l'environnement. M. Mesli a commencé par rendre hommage aux lauréats des années précédentes, dont la plupart, comme Talib Al Mamari, n'étaient pas en mesure de recevoir le prix en personne étant eux-mêmes détenus ou interdit de voyager en raison de leur engagement pacifique pour la protection et la promotion les droits de l'homme en leurs pays respectifs.

« En l'absence de Talib Al Mamari, de son avocat lui-même arrêté il y à quelques semaines, et de sa famille par crainte de représailles, je suis heureux de donner le prix à M. Ueli Leuenberger qui partage avec notre lauréat des valeurs universelles communes, en tant que défenseur des droits de l'homme et militant de l'environnement qui, à travers son rôle au Parlement Suisse, s'est toujours battu pour défendre et promouvoir les droits de ses concitoyens, mais aussi à appeler à plus de démocratie dans le monde », a-t-il déclaré.

Recevant le prix au nom de Talib Al Mamari, Ueli Leuenberger, ancien président du parti Vert, ancien membre du Parlement Suisse et président de l'Institut des Cultures Arabes et Méditerranéennes (ICAM) de Genève, a déclaré qu'« honorer un militant et parlementaire si proche des préoccupations de ses concitoyens, luttant contre la destruction environnementale et la pollution qui met en danger et rend malade les riverains des installations pétrochimiques, revêt une signification particulière à la veille de la Journée internationale de droit de l'homme et en pleine Conférence de l'ONU sur le climat à Paris », et a promis de prendre soin du prix jusqu'à ce qu'il puisse le présenter au lauréat 2015 « à un homme en liberté pour qu'il puisse poursuivre l'engagement qui nous est commun ».

Défendre les droits de l'homme n'est pas un crime, sauf bien sûr pour les dictateurs. Talib Al Mamari l'a clairement bien compris, lui qui a déclaré « il n'y a pas de place dans ce monde − celui de la liberté et de la civilisation − pour une dictature persistante ».

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