EGYPTE : Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire saisi des cas de Abdelrahman ELSAYAR et Hegazy HAMZA

Abdelrahman ELSAYAR et Hegazy HAMZA

Le 22 juin 2022, Alkarama a saisi le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires concernant la situation d’Abdelrahman Ali Mohammed Ali ELSAYAR et de Hossam Ali Mohamed Hegazy HAMZA tous deux arbitrairement arrêtés par les forces de sécurité égyptiennes puis condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables.

Les faits

Le cas d’Abdelrahman ELSAYAR

Abdelrahman Ali Mohammed Ali ELSAYAR, étudiant en ingénierie, a été arrêté le 20 septembre 2016 vers midi à Assouan par les forces de sécurité qui l'ont accusé de vouloir quitter illégalement le pays avant d’être emmené de force dans une camionnette banalisée.

Suite à son arrestation, sa famille s’est adressée aux différentes autorités égyptiennes, dont le procureur général et les commissariats de police, lesquels n’ont fourni aucune information quant à son sort et à l'endroit où il se trouvait. Trois mois plus tard, un avocat qui connaissait personnellement la famille leur a annoncé avoir vu Elsayar au tribunal militaire du Caire.

Lorsqu’il a enfin eu accès à un avocat, Elsayar a témoigné qu'on lui avait constamment bandé les yeux et mis des menottes après son arrestation et pendant sa détention secrète de trois mois. Il a rapporté avoir été placé dans une petite cellule surpeuplée, privé de nourriture et de la lumière du jour. Elsayar a témoigné avoir été violemment battu et électrocuté au cours de ses interrogatoires et a été forcé à signer des déclarations.

Lorsqu'il a finalement été présenté au juge d'instruction, il a été accusé d'avoir "beaucoup d'argent" (environ 2 000 dollars qui lui ont été confisqués) et d'être affilié aux Frères musulmans.

Le 9 mars 2020, après près de quatre ans de détention provisoire, il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement par le tribunal militaire du Caire sous l'accusation d'avoir participé à la planification et à la tentative d'assassinat du vice-général adjoint égyptien. Aucune preuve matérielle n'a été présentée par l'accusation qui s'est appuyée sur les aveux arrachés sous la torture d’un autre coaccusé. Le jugement est devenu définitif après le rejet de l'appel le 13 octobre 2021.

Bien que M. Elsayar ait nié toute implication dans les actes qui lui ont été attribués au cours de son procès, le juge chargé de son affaire a répondu, que même s'il le savait innocent, il devait être condamné car il s'agissait d'une affaire "politique". Il est actuellement détenu à la prison de Tora.

Le cas de Hossam Ali Mohamed Hegazy HAMZA

Hossam Ali Mohamed Hegazy HAMZA a été arrêté par les forces de sécurité dans un l'hôpital du Caire où il avait été transféré par des manifestants le 14 août 2013 après avoir été blessé par les balles des forces de sécurité sur la place Rabaa al-Adawiya au Caire.

Ce jour-là, il faisait partie des manifestants qui participaient aux sit-in organisés dans tout le pays contre la déposition du président élu, M. Mohamed Morsi, par un coup d'État militaire organisé par son ministre de la défense, Abdel Fattah Al Sisi.

Des milliers de manifestants ont campé sur la place Rabaa al-Adawiya pendant six semaines jusqu'à ce qu'ils soient violemment dispersés par les forces de sécurité égyptiennes qui ont tué un millier de personnes et en ont blessé 4 000 autres.

Après avoir été abattu par les forces de sécurité, Hamza a été transféré par des manifestants à l'hôpital de l'assurance maladie dans un état grave. Malgré son état, il a été emmené par les forces de sécurité dans leurs locaux pour y être interrogé. En réalité, il s'agissait d'une rafle organisée par les services de sécurité qui ont arrêté tous les blessés dans les différents hôpitaux du Caire malgré la gravité de leurs blessures.

Hamza a été placé en état de disparition forcée pendant les deux semaines suivant son arrestation et a finalement été traduit, sans avocat, devant le parquet de la Sûreté de l'État. Accusé de plusieurs « crimes », notamment ceux d'"avoir rejoint un groupe dont le but est d'appeler à perturber les dispositions de la constitution et des lois" et d'"empêcher les institutions de l'État de fonctionner", il a été placé en détention provisoire pendant plus de trois ans.

Le 8 septembre 2018, à l'issue d'un procès inéquitable, il a été condamné à 15 ans de prison dans le cadre de l’affaire de la « dispersion de la place Rabaa ». Confirmé en appel le 14 juin 2021, le jugement prononcé à son encontre est devenu définitif.

Pendant sa détention et malgré son état, Hamza n'a reçu aucun soin médical et a, au contraire, été battu et soumis à des mauvais traitements et à la torture. Il est actuellement détenu dans la prison de Tora.

Mandatés par les familles des deux victimes, Alkarama s’est donc adressée au Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires dans une communication en date du 22 juin 2022.

Le Groupe de travail saisi par Alkarama

Dans sa communication, Alkarama a souligné que la privation de liberté des deux victimes est infondée en droit et par conséquent arbitraire. En effet, tant l’arrestation que la détention des deux victimes ne remplissent aucun des critères de légalité énoncés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par l’Égypte en 1982.

Tout d’abord, les deux personnes ont été arrêtées sans qu’aucun motif ni aucun mandat de justice ne leur ait été notifié. Elsayar et Hamza ont été ensuite détenus au secret et intentionnellement soustraits par les autorités à la protection de la loi. Ainsi, les garanties les plus fondamentales en matière de détention ont été bafouées dès le début de leur arrestation jusqu'au jour où ils ont été présentés devant une autorité judiciaire compétente.
    
Alkarama a également indiqué que la privation de liberté de Hamza constitue une violation de son droit à la liberté de réunion et d’association consacré par le Pacte. Pour rappel, Hamza a été arrêté lors d’une rafle à l’hôpital où il avait été transféré par les manifestants après avoir été blessé par les balles des forces de sécurité sur la place Rabaa.

Lors des événements sanglants du 14 août 2013, les forces de sécurité égyptiennes ont tué, en toute impunité, près d'un millier d'Égyptiens qui participaient pacifiquement aux manifestations. Présents sur les lieux, les représentants d’Alkarama avaient établi une liste exhaustive des victimes tuées intentionnellement ce jour par les forces de sécurité.

En outre, les deux victimes ont été détenues pendant une longue période et aucune d'entre elles n'a été présentée devant une autorité judiciaire habilitée dans un délai raisonnable ni disposé de la possibilité de contester la légalité de sa détention.

Au cours de la procédure, Elsayar et Hamza ont été jugés dans le cadre de procès de masse en violation de leur droit à un procès équitable. Le Groupe de travail avait déjà exprimé ses sérieux doutes quant à l'équité de tels procès et avait souligné que ceux-ci ne permettent pas le respect de la responsabilité pénale individuelle. Les experts de l’ONU avaient déclaré que "la responsabilité pénale collective d'un grand nombre d'accusés dans des procès de masse équivaut également à une violation de leur droit à la présomption d'innocence, garanti par l'article 14 (2) du Pacte".

De plus, aucune des victimes n'a bénéficié du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense. Toutes deux ont été privées de leur droit d'être assistées par un avocat dès le début de leur arrestation et tout au long du procès. Elles ont été maintenues en détention provisoire pendant une longue période en violation du droit de l'accusé d'être jugé sans retard excessif.

Enfin, Alkarama a indiqué que les poursuites et le traitement des deux victimes résultent directement de leurs opinions politiques ce qui confère également un caractère arbitraire à leur privation de liberté.

En effet, alors qu’Elsayar a été accusé d'être affilié aux Frères Musulmans, Hamza a quant à lui été arrêté alors qu'il manifestait contre le coup d'état militaire. Tous deux ont été victimes d’un traitement discriminatoire en raison de leur opposition politique ou critique à l’égard du coup d'État militaire ou encore de leur appartenance réelle ou supposée à l'organisation des Frères musulmans qui était un parti politique légal.

Les nombreux cas soumis par Alkarama aux procédures spéciales des Nations Unies, à la suite des massacres de la place Rabaa, ont montré que l’interdiction et l'inscription du parti politique des Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes par les autorités militaires issues du coup d'État ont été utilisées pour nier systématiquement les droits fondamentaux des personnes considérées comme membres ou sympathisants de ce groupe. Il est également à noter que les magistrats chargés du jugement des procès de masses ont publiquement déclaré leur soutien au pouvoir militaire et nié l'existence de violations, parfaitement documentées par ailleurs, des droits de l'homme par le régime militaire.

Pour toutes ces raisons, Alkarama a invité le Groupe de travail de l’ONU à reconnaître le caractère arbitraire de la privation de liberté des deux victimes et d’appeler l’État partie à les libérer conformément à ses engagements internationaux.