ALGÉRIE : Le Rapporteur spécial contre la torture saisi du cas de Yasser ROUIBAH

rouibah

Le 24 août 2021, Alkarama s’est adressé au Rapporteur spécial de l’ONU contre la torture concernant la situation de Yasser ROUIBAH, 20 ans, victime de tortures et autres traitements inhumains et dégradants infligés par des policiers.

Les Faits
Yasser ROUIBAH a été arrêté par la police le 23 avril 2021, lors d’une manifestation pacifique du Hirak sur la place du 1er Novembre dans le centre-ville d’Oran (400 km à l’ouest d’Alger).
Le Hirak, mouvement de contestation pacifique commencé en février 2019, pour protester contre un cinquième mandat du président Bouteflika et la mainmise de l’armée sur l’État, rassemble de nombreux citoyens algériens de toutes tendances politiques en quête de démocratie et revendiquant l’instauration d’un État de droit.
Yasser ROUIBAH est une figure connue du Hirak, actif sur les réseaux sociaux et particulièrement apprécié par les jeunes. Il s’était rendu à Oran, ville distante de plus de 600 kms de sa ville de résidence pour apporter son soutien à une manifestation pacifique organisée par des activistes locaux pour protester contre la répression.
Violemment battu lors de son arrestation par des policiers en uniforme, Yasser ROUIBAH a été emmené au commissariat central d’Oran où il a été placé en garde à vue totalement isolé du monde extérieur. Il n’a pas été autorisé, comme le permet la législation algérienne, d’informer ses proches ou un avocat de son arrestation.
Dans son témoignage rapporté par ses proches, il a attesté avoir été totalement déshabillé, menotté et violemment battu sur toutes les parties de son corps. Yasser ROUIBAH a également rapporté avoir été privé de nourriture et d’eau pendant trois jours et victime d’attouchements sexuels par les policiers.
Il témoigne avoir été torturé dans le but de mettre en cause une liste de personnes en possession des policiers parmi lesquelles des jeunes qu’il connaissait effectivement comme étant des militants du Hirak et d’autres personnes qu’il n’avait jamais rencontrées. Toutes ces personnes ont par la suite été arrêtées par la police.
Devant son refus de signer le procès-verbal établi par les policiers, il a encore subi d’autres tortures et notamment allongé sur le sol et le ventre écrasé par un policier jusqu’à l’étouffement. La victime a finalement signé les procès-verbaux sous la menace de subir d’autres tortures.
Ce n’est que six jours après son arrestation, le 30 avril 2021, que Yasser ROUIBAH a été déféré devant le procureur général qui l’a accusé entre autres, d’« incitation des citoyens à la révolte », d’« atteinte à l’unité nationale », de « distribution de tracts qui portent atteinte à l’intérêt national » et d’« appartenance à une organisation violente active à l’étranger », en allusion à l’organisation « Rachad ».
Lors de sa première comparution devant le juge d’instruction la victime a nié l’ensemble des contenus des procès-verbaux précisant avoir été torturé et contraint de les signer. En dépit de ces déclarations et des signes évidents de coups sur diverses parties du corps ainsi que de son état physique et psychique, ni le procureur devant lequel il a été déféré, ni le juge d’instruction qui l’a entendu en première comparution, n’ont cru devoir désigner un médecin légiste pour l’examiner, ni à fortiori d’effectuer une enquête conformément à l’article 12 de la Convention contre la torture.

Précédentes arrestations et interpellations de Yasser ROUIBAH

Yasser ROUIBAH avait déjà été interpellé plusieurs fois dans différentes villes du pays en raison de sa participation aux manifestations hebdomadaires du Hirak. Arrêté une première fois en 2019 à Ziammah-Mansouriyah, wilaya de Jijel, il avait été emmené au commissariat et avait été complètement dénudé puis violemment battu. Il avait alors témoigné que les policiers lui avaient uriné sur le visage tout en l’insultant.
Il avait finalement été libéré mais mis en garde de ne plus participer aux manifestations sous peine de l’envoyer en prison sur la base d’accusations criminelles. Sa dernière arrestation à Oran fait donc suite aux menaces qu’il avait déjà reçues lors de sa précédente arrestation.
Lors de sa dernière arrestation, il a été contraint sous la torture de témoigner contre des activistes du Hirak et des opposants politiques. Les aveux ainsi extorqués ont été utilisés pour arrêter 14 autres personnes actives du Hirak. Les autorités ont également mis en accusation des opposants qui résident à l’étranger et contre lesquelles ils ont émis des mandats d’arrêts internationaux sous prétexte d’appartenance à une organisation terroriste activant à l’étranger.

Parmi les personnes arrêtées à la suite des aveux de la victime, Mustapha Guira membre actif du Hirak, Kaddour Chouicha, un syndicaliste et membre de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, son épouse Jamila Loukil, militante et journaliste et Said Boudour, journaliste1 tous accusés de « participation à une organisation terroriste » et de « complot contre l’État ». Plusieurs des autres personnes arrêtées dans le cadre de cette même procédure rapportent avoir fait l’objet de tortures et de mauvais traitements.

Le Rapporteur spécial de l’ONU saisi par Alkarama
Préoccupée par la répression contre les activistes pacifiques du Hirak et face aux tortures dont ils sont de plus en plus souvent victimes, Alkarama a donc saisi le Rapporteur spécial de l’ONU pour qu’il enjoigne aux autorités algériennes de s’abstenir de tout acte de torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants à l’encontre de Yasser ROUIBAH et ses coaccusés et d’ouvrir dans les plus brefs délais une enquête indépendante, diligente et impartiale sur leurs allégations de torture et de mauvais traitements conformément aux articles 12 et 13 de la Convention contre la torture.