Tunisie : Encore de nombreux défis à relever pour le pays

Le 18 juin 2015, la Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur l'Indépendance des Juges et des Avocats (SRIJL), Mme Gabriela Knaul, a présenté les principales conclusions de son rapport de visite en Tunisie du 27 novembre au 5 décembre 2014, qui avait pour but d'évaluer le système judiciaire tunisien depuis la révolution de 2011. Bien que le pays ait accompli des avancées appréciables en ce qui concerne l'indépendance de la justice, notamment avec la mise en place d'une instance provisoire qui remplace le Conseil supérieur de la magistrature, qui était, contrairement à cette nouvelle commission, dépendant de l'exécutif, il lui reste des défis non négligeables à relever.

Des efforts pour renforcer l'indépendance du système judiciaire, mais...

Mme Knaul a commencé par rappeler le contexte politique de ces dernières années, reconnaissant les efforts déployés pendant la transition pour réformer et renforcer l'indépendance du système de justice afin de le mettre en conformité avec les normes internationales, notamment par la création d'une commission judiciaire provisoire pour remplacer l'ancien Conseil supérieur de la magistrature, précédemment présidé par le Président de la République et le ministre de la Justice (vice-président). Composée d'une majorité de membres élus, cette commission représente donc « un pas dans la bonne direction vers le renforcement de l'indépendance des juges. »

L'experte onusienne a également noté les nombreuses garanties introduites dans la Constitution de 2014, en particulier celles garantissant la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice, mais a souligné la nécessité absolue de mettre en pratique ces dispositions, une tâche qui incombera à la Cour constitutionnelle, organe indépendant du pouvoir prévu opérationnel pour fin Octobre 2015, créé dans le but de renforcer l'état de droit en Tunisie.

... La nécessité de poursuivre la lutte contre la corruption au sein du système judiciaire

La Rapporteuse spéciale a cependant souligné que malgré ces nouvelles lois et organes provisoires, de nombreux défis subsistaient dans le pays. Mme Knaul a notamment fait part des nombreuses plaintes qu'elle avait reçues de la part de juges et d'avocats rapportant de graves atteintes à leur indépendance, et pour qui la priorité était de lutter contre la corruption.

L'experte onusienne a ainsi salué la mise en place d'une 'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption' comme une mesure positive, avant de rappeler qu'il était important pour la Tunisie de s'assurer que les garanties nécessaires soient mises en place pour garantir effectivement l'indépendance des juges, suggérant que les juges aient recours à une autorité indépendante (telle que le Conseil supérieur de la magistrature) lorsque leur indépendance est menacée, et que des sanctions spécifiques soient définies contre ceux qui cherchent indûment à les influencer.

... De nombreux obstacles qui entravent encore l'instauration d'un état de droit

Sur le chapitre du respect des libertés individuelles, la Rapporteuse spéciale a tenu à souligner que « la durée excessive de la garde à vue, combinée avec le fait que le suspect n'a pas accès à un avocat, peut créer les conditions propices pour des mauvais traitements », un problème persistant en Tunisie, en particulier lorsque cette période de garde à vue se passe au secret, comme documenté par Alkarama dans de nombreux cas. Tel est ainsi le cas d'Hanene Chaouch, une jeune bénévole militant en faveur des orphelins, qui, pour « non-dénonciation d'activités terroristes », a été torturée pendant les trois jours de sa garde à vue au secret dans le centre de sécurité de Monastir. Elle a notamment été privée de sommeil pendant 72 heures, violement battue à coups de pieds et de poings, électrocutée et menacée de viol.

Mme Knaul a également fait part d'allégations selon lesquelles des avocats actifs dans la défense des droits de l'homme – en particulier ceux qui défendent les personnes suspectées de terrorisme – font très souvent l'objet de menaces. Elle a ainsi rappelé à l'État son « obligation positive de prendre des mesures efficaces pour assurer la sécurité personnelle des magistrats, des avocats et de leurs familles. »

Enfin, préoccupée par la dépendance des juges militaires vis-à-vis de leurs supérieurs, l'experte onusienne a tenu à rappeler que, dans l'exercice de leurs fonctions, les juges militaires « sont soumis à la suprématie de la loi et sont protégés contre les menaces ou les attaques. »

Recommandations de l'experte de l'ONU

Mme Knaul a ainsi appelé la Tunisie à examiner avec sérieux les recommandations émises dans son rapport, et notamment les suivantes:

- L'adoption d'urgence, par le Parlement, de la législation nécessaire – sur la base de vastes consultations inclusives, y compris avec les organisations de la société civile – en particulier pour rendre opérationnels le Conseil de la magistrature suprême et la Cour constitutionnelle ;

- La suppression des liens étroits qui existent entre les pouvoirs judiciaire et exécutif, afin que le pouvoir judiciaire puisse devenir indépendant dans la pratique ;

- L'ouverture urgente d'enquêtes sur tout acte de harcèlement, de menaces, d'attaque ou d'agression physique contre des juges, procureurs ou avocats et la prévision de sanctions pour ses auteurs, ainsi que la prévision de mesures de protection appropriées pour les membres de la profession légale et leurs familles ;

- Le besoin de garantir l'indépendance du ministre de la Justice vis-à-vis du ministère public et la direction de ce premier par le Procureur général de la République dont l'indépendance vis-à-vis du ministre de la Justice doit aussi être garantie ;

- La réforme du Code de procédure pénale dans le but de réduire la durée légale de la garde à vue à un maximum de 48 heures, de rendre automatique l'accès à un avocat dès les premières heures de la garde à vue et de rendre les motifs juridiques et les dossiers d'arrestation accessibles aux familles et aux avocats de la défense ;

À la fin de l'exposé du rapport de l'experte onusienne, le représentant de la Tunisie s'est contenté d'énumérer les dispositions légales relatives à l'indépendance de la justice avant d'assurer que « le rapport onusien sera une feuille de route à suivre tout le long de la réforme judiciaire ».

Alkarama appuie les recommandations de la Rapporteuse spéciale, en particulier en ce qui concerne la lutte contre la corruption su sein du système judiciaire et reste soucieuse aujourd'hui d'assister à la suppression de la corruption au sein du système judiciaire et la mise en place de réformes en ce qui concerne les obstacles à la création d'un État de droit.

Alkarama continuera de suivre les évolutions, en particulier de la Cour constitutionnelle, qui devrait être pleinement opérationnelle d'ici octobre 2015, et de 'l'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption', qui devra jouer un réel rôle d'enquête contre les menaces et les tentatives d'influence à l'encontre des juges. Il est indispensable que le pays assure la pleine sécurité des professionnels de la justice ainsi que leurs familles.

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