Mauritanie : un militant de la lutte contre l'impunité menacé et persécuté par les autorités

un militant de la lutte contre l'impunité menacé et persécuté par les autorités

Le 23 juillet 2015, Alkarama a soumis une communication au Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition (SR Vérité) concernant le cas de M. Abderrahmane Ould Ahmed, un militant de la lutte contre l'impunité des auteurs du massacre négro-mauritanien d'Inal encore menacé et persécuté par les autorités mauritaniennes aujourd'hui. La situation d'Abderrahmane, l'une des victimes rescapées des massacres qui eurent lieu au début des années 1990, reste en effet particulièrement préoccupante.

Contexte

En 1986, des officiers négro-mauritaniens de l'armée sont accusés par le pouvoir de fomenter un coup d'État. Nombre d'entre eux sont arrêtés, torturés, voire même pour certains exécutés. Parallèlement, au sein de l'administration mauritanienne, s'effectuait une véritable purge des Négro-mauritaniens de tout poste à responsabilité. Plusieurs centaines d'individus sont tués dans des conditions particulièrement cruelles et inhumaines, certains sont même enterrés vivants, d'autres brûlés vifs ou encore écartelés entre deux véhicules.

Cette répression s'est poursuivie pendant des années. À partir de 1990, plusieurs milliers de militaires, soldats et sous-officiers sont arbitrairement arrêtés et torturés sous prétexte d'un complot qui n'a, en réalité, jamais été démontré. Le 28 novembre 1991, 28 officiers et sous-officiers de l'armée sont pendus à Inal, une localité située à l'est de Nouadhibou, la capitale économique de la Mauritanie.

Le bilan de cette répression est particulièrement lourd : entre 1986 et 1991, au moins 3'000 personnes ont été arrêté, torturées ou tuées. Sur les 256 internés du camp militaire d'Inal, seuls 96 resteront en vie en 1991 après plusieurs mois de détention dans des conditions effroyables.

Le cas d'Abderrahmane Ould Ahmed

L'un des rares rescapés de cette tragédie, Abderrahmane a été arbitrairement arrêté le 27 octobre 1990 à Nouadhibou et conduit dans le camp militaire d'Inal en compagnie d'autres personnes de la minorité negro-mauritanienne où il fut détenu au secret pendant 150 jours et torturé quotidiennement.

Depuis sa libération, il a cependant continué à être victime de harcèlements, d'intimidations et de violences de la part des services de sécurité mauritaniens en raison de ses appels constants pour que les auteurs des crimes commis contre la minorité négro-mauritanienne soient reconnus et poursuivis. À plusieurs reprises, Abderrahmane a rappelé qu'il ne pouvait pas se contenter de revendiquer une réparation financière pour les victimes sans demander à ce qu'une enquête sur les massacres d'Inal soit ouverte et que leurs auteurs soient poursuivis.

Abderrahmane a notamment été menacé de mort par les services de sécurité et rapporte que sa famille, aussi, subit des harcèlements quotidiens. Entre autres, Abderrahmane a été à nouveau arrêté par la police le 25 juin 2015, avant d'être incarcéré pendant deux jours au commissariat de Nouakchott, la capitale mauritanienne, où il a été frappé et humilié. Moins de deux semaines plus tard, le 6 juillet – suite à une conférence de presse qu'il a organisée le 3 juillet 2015 au siège de la Confédération Libre des Travailleurs de Mauritanie (CLTM), au cours de laquelle il est revenu sur les massacres des années 1990, citant nommément des responsables de ces crimes, dont le colonel Ould Taya – Abderrahmane a reçu un appel du Directeur Général de la Sûreté Nationale (DGST) – Mohamed Ould Maguett l'un des auteurs des massacres de 1990 – le menaçant de représailles.

En réaction, Abderrahmane a organisé un sit-in le 8 juillet à 11h devant le bureau du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH) de l'ONU à Nouakchott pour faire connaître le combat qu'il mène et renouveler ses revendications. Les forces de police ont alors réprimé ce sit-in pacifique en dispersant les manifestants avec des grenades lacrymogènes.

C'est alors que le 9 août dernier, lorsqu'il se trouvait non loin de la station essence de l'immeuble Ould Khteïra dans le quartier de Dar Naïm à Nouakchott, une voiture non-immatriculée et aux verres teintés a manqué de le renverser. Les détails de la voiture portent à croire qu'il s'agissait d'une tentative délibérée de l'écraser, surtout que le conducteur a poursuivi sa route sans s'arrêter après l'incident. Malgré tout, Abderrahmane poursuivra son combat jusqu'au bout. « Je sais que ma vie est en danger, » a-t-il déclaré, « mais je déchargerai ce dossier à un homme de confiance, pour qu'il poursuive le combat même après ma disparition. »

Impossibilité de recourir à la justice mauritanienne

Jusqu'à aujourd'hui, aucune des démarches entreprises par Abderrahmane n'a jamais abouti, et la lettre ouverte qu'il a envoyée au Président Mohamed Ould Abdel Aziz – un ancien général mauritanien, président de la République depuis le 5 août 2009 – lui demandant d'ouvrir une enquête sur les massacres d'Inal et de compenser les victimes et leurs familles est restée lettre morte.

Au contraire, les auteurs des graves violations des droits de l'homme commises entre 1989 et 1991 ont été amnistiés par la loi no 93-23 du 14 juin 1993, une loi édictée par les auteurs même des crimes pour bénéficier d'une amnistie, qui couvre de fait les actes de torture, de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires, violant ainsi les droits des victimes à l'égalité devant la loi, à l'accès à la justice, à un recours équitable et efficace et à une réparation juste.

Démarches entreprises par Alkarama

Au vu des harcèlements constants dont est victime Abderrahmane Ould Ahmed, Alkarama a donc demandé au Rapporteur spécial de l'ONU sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition (SR Vérité) d'enjoindre les autorités mauritaniennes à cesser toute persécution contre Adberrahmane et de mettre un terme aux violences exercées contre les manifestations à caractère pacifique.

Par ailleurs, Alkarama a insisté sur la nécessité pour les autorités mauritanienne de reconsidérer la loi de 1993, qui nie aux victimes des massacres et leurs familles le droit de s'exprimer ou de recourir à la justice et leur refuse toute réparation.

Pour plus d'informations ou une interview, veuillez contacter l'équipe média à media@alkarama.org (Dir: +41 22 734 10 08).