Mauritanie : Le rapport d’Alkarama dénonce de nombreuses violations en vue du prochain Examen périodique universel de l’État

Le rapport d’Alkarama dénonce de nombreuses violations en vue du prochain Examen périodique universel de l’État

Le 23 mars 2015, Alkarama a soumis son rapport sur la situation des droits de l'homme en Mauritanie en vue de l'Examen périodique universel (EPU) qui se tiendra le 3 novembre 2015. Le rapport souligne les nombreuses violations des droits de l'homme dans le pays, notamment l'échec de l'État à sanctionner la torture en tant qu'infraction pénale spécifique, les conditions déplorables de détention, les nombreux cas de détention arbitraire, l'utilisation continue de la peine de mort en dépit d'un moratoire, la commission de nombreuses violations dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, la limitation des droits aux libertés d'expression et d'association, ainsi que la pratique persistante de l'esclavage.

En tant qu'État partie aux principaux instruments internationaux, y compris le Protocole Facultatif (OPCAT) se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT) et la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ICCPED) – deux instruments juridiques internationaux que l'État a ratifié en Octobre 2012 – la Mauritanie est liée par une série d'obligations en vertu du droit international des droits de l'homme. Néanmoins, bien qu'elle ait intégré certains de ces engagements dans son droit interne, la Mauritanie n'a pas encore de prendre des mesures concrètes pour les traduire dans la réalité.

Torture

Bien qu'elle ait accepté – au cours de son dernier EPU en novembre 2010 – de prendre des mesures concrètes pour « mettre fin à la torture et aux traitements inhumains et dégradants. et de veiller à ce que les allégations de torture et de mauvais traitements ou d'usage de la force par la police et les forces de l'ordre soient investiguées, et les coupables poursuivis et condamnés en conformité avec les normes internationales », le Comité contre la Torture (CAT) de l'ONU a exprimé de graves préoccupations – lors de son dernier examen de l'État le 18 juin 2013 – au sujet du cadre juridique mauritanien qui, dans sa forme actuelle, reste propice à la pratique de la torture.

En particulier, les experts du CAT ont soulevé le fait que, « huit ans après être devenu partie à la Convention, l'État partie n'a toujours pas intégré une disposition dans sa législation pénale définissant explicitement et sanctionnant la torture comme une infraction pénale spécifique ; » et que « bien que la délégation de l'État partie a indiqué oralement qu'une nouvelle loi adoptée en mars 2013 criminaliserait dans son premier article la pratique de la torture et de l'esclavage, et constituerait ces deux infractions comme des crimes contre l'humanité, le Comité est préoccupé qu'un vide juridique propice à l'impunité pourrait continuer à exister si la loi mentionnée ci-dessus n'est pas promulguée ».

De plus, en ratifiant l'OPCAT le 3 octobre 2012, la Mauritanie s'engageait ainsi à créer, dans l'année suivant sa ratification, un mécanisme national de prévention (MNP) chargé de la surveillance des lieux de détention. Plus d'un an plus tard cependant, ce mécanisme n'a toujours pas été mis en place. En outre, si les autorités confiaient cette mission, comme annoncé le 30 avril 2014, à la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) – l'Institution nationale des droits de l'homme mauritanienne (INDH), qui manque d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif – le CNDH devrait se conformer pleinement aux Principes de Paris régissant le statut des institutions nationales.

Le 26 février 2015, le Ministre de la justice déclarait, suite à l'adoption par le gouvernement du projet de loi sur la création d'un mécanisme national de prévention, que la Mauritanie allait très prochainement créer son MNP, devenant ainsi le deuxième pays de la région Moyen-Orient-Afrique du nord à en avoir constitué un. La loi doit cependant encore être adoptée par le Parlement afin d'entrer en vigueur.

Conditions de détention déplorables et détention arbitraire

Le rapport met également en exergue les conditions de détention particulièrement préoccupantes dans les centres de détention, en particulier en raison du surpeuplement du système carcéral, la malnutrition et l'absence d'accès aux soins médicaux. À titre d'exemples, la prison de Nouadhibou, les détenus sont contraints de s'organiser afin de pouvoir dormir à tour de rôle ; ou le cas de Maarouf Ould Al Hiba, un détenu de 33 ans qui serait mort pour ne pas avoir reçu les soins médicaux dont il avait besoin.

De nombreuses personnes sont également détenues arbitrairement, la détention arbitraire revêtant plusieurs formes en Mauritanie. La durée de la garde à vue et la détention provisoire, par exemple, sont souvent prolongées au-delà des délais légaux ; et de nombreuses personnes acquittées par décision de justice ou ayant purgé leur peine légale d'emprisonnement sont maintenues en détention.

Peine de mort

En dépit d'un moratoire de fait sur la peine capitale depuis 2007, la peine de mort reste prévue par le Code pénal et est toujours prononcée par les tribunaux, y compris à l'égard des mineurs. Ainsi, plusieurs condamnations à mort ont été prononcées ces dernières années, la dernière en date étant le 24 décembre 2014 contre Mohamed Cheik Ould Mohamed, 29 ans, accusé d'apostasie.

Bien que la dernière exécution ait eu lieu en 1987, il est important de noter que la peine de mort est de plus en plus considérée comme de la torture, comme l'a déclaré le Rapporteur spécial sur la Torture (SRT), Juan E. Mendéz, lors de son rapport à l'Assemblée générale de l'ONU (UNGA) le 23 octobre 2012, se disant particulièrement préoccupé par le « phénomène du couloir de la mort », qui comprend « un concours de circonstances qui produit un traumatisme mental grave et de la souffrance physique chez les détenus purgeant une peine de mort. »

Violations des droits de l'homme dans le contexte de la "lutte contre le terrorisme"

Depuis sa réélection le 21 juin 2014, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a commencé une politique active de répression contre les opposants politiques, en utilisant la « lutte contre le terrorisme » comme prétexte. La loi du 5 janvier 2010 sur le terrorisme – qui a abrogé et remplacé celle de 2005 – contient en effet quelques articles répressifs en contradiction avec la Constitution mauritanienne. En particulier, sa définition trop vague du « crime de terrorisme » qui est susceptible d'englober des faits ou des infractions sans rapport avec le terrorisme et ainsi criminaliser des activités légitimes d'opposants politiques ou de défenseurs des droits de l'homme.

Liberté d'expression et liberté de réunion

Les autorités mauritaniennes continuent, sans relâche, d'harceler et de réprimer les défenseurs des droits de l'homme, les opposants politiques, les étudiants et les médias, dans le but de les réduire au silence. L'article 10 de la Constitution garantit toutefois un certain nombre de droits fondamentaux, qui incluent les libertés d'expression, d'association et de réunion. Néanmoins, les autorités répriment systématiquement les manifestations pacifiques, en utilisant souvent la violence contre les manifestants.

Pratique persistante de l'esclavage

Enfin, la Mauritanie dispose d'un arsenal législatif conséquent pour lutter contre l'esclavage. La pratique a été abolie en 1981, criminalisée en 2007, et qualifié de « crime contre l'humanité » en 2012. À son retour de visite en Mauritanie en février 2014, l'ancienne Rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines d'esclavage, Mme Gulnara Shahinian, qui a rencontré avec de nombreuses victimes de l'esclavage « qui avaient été totalement privées de leurs droits », a conclu dans son rapport que « l'esclavage de facto en Mauritanie continue d'être, un processus invisible lente qui se traduit par la 'mort sociale' de plusieurs milliers de femmes et d'hommes ».

Sur la base de ses conclusions, le Rapporteur spécial a recommandé, entre autres, que la Loi sur l'esclavage de 2007 soit modifiée pour contenir une définition claire de la torture pour aider à l'exécution de la loi, que l'État fournisse assistance et programmes pour la réinsertion des victimes dans la société, et développe une stratégie nationale de lutte contre l'esclavage.

Principales recommandations d'Alkarama:

1. Accepter les mécanismes de plaintes individuelles devant le Comité contre la torture (CAT) et le Comité sur les disparitions forcées (CED) en vertu des articles 22 de UNCAT et 31 ICCPED ;
2. Se doter d'un mécanisme de protection indépendant (MNP) et mettre l'institution nationale des droits de l'homme (CNDH) en totale conformité avec les Principes de Paris ;
3. Prendre des mesures concrètes afin de mettre un terme à la pratique de la torture et engager systématiquement des enquêtes indépendantes sur les allégations de torture en veillant à ce que les auteurs soient effectivement poursuivis et condamnés ;
4. Assurer la conformité des conditions de détention aux standards du droit international notamment aux Règles minima pour le traitement des détenus ;
5. Garantir le respect de la liberté d'association, d'expression et de réunion pacifique.

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