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Omar Al Mukhtar Ahmed AL DAGUEL

Au cours de la 93ème session qui s’est tenue à Genève du 30 mars au 8 avril 2022, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a conclu à la responsabilité du gouvernement libyen du fait des agissements des milices affiliées au général Khalifa Haftar qui ont arbitrairement arrêté Omar Al Mukhtar Ahmed AL DAGUEL le 13 juillet 2016 à son domicile à Benghazi.

Dans son Avis n°11/2022, rendu suite à la plainte déposée par Alkarama au nom de la victime, le Groupe de travail a relevé le caractère arbitraire de la privation de liberté d’Al Daguel et a appelé l’État partie à le libérer et à lui accorder une réparation appropriée en contrepartie des préjudices subis.

Son cas avait été soumis une première fois au Groupe de travail de l’ONU dans un appel urgent en date du 25 avril 2019. Après cette soumission, la victime avait fait l’objet d’une disparition forcée qui avait également été portée par Alkarama à la connaissance du Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées. Suite à sa réapparition courant juin 2021, à la prison d'Al Kouifya où il est actuellement détenu, Alkarama s’est de nouveau adressé au Groupe de travail dans une communication en date du 28 septembre 2021.

Rappel des faits

Le 13 juillet 2016, plusieurs miliciens lourdement armées affiliés au général Khalifa Haftar ont fait irruption au domicile d’Al Daguel à Benghazi et l’ont emmené de force vers un lieu inconnu. Après un mois de détention au secret il a été transféré à la prison d'Al Kouifya, où sa mère et sa sœur ont été autorisées à lui rendre visite pour la première fois.

Lors de cette visite, Al Daguel leur a fait savoir qu'il avait été arrêté en raison de ses activités sur Facebook lorsqu'il étudiait en Malaisie jusqu'à fin 2015. Il s'était notamment exprimé sur les atteintes aux droits humains commises par les milices affiliées à Haftar.

Depuis son arrestation à ce jour, Al Daguel n’a jamais été présenté à une autorité judiciaire habilitée.

Le Gouvernement libyen responsable des agissements des milices de Haftar ?

Dans son Avis le Groupe de travail s’est avant tout attaché à déterminer la responsabilité du Gouvernement libyen du fait des agissements des milices du général Khalifa Haftar sur le territoire libyen.

En ce sens, les experts ont relevé que l’absence de contrôle et de commandement de facto du Gouvernement d’entente nationale, seul gouvernement reconnu par le Conseil de sécurité des Nations Unies, sur les milices sous le commandement du général Khalifa Haftar, groupe armé allié à l'Opération Dignité, -coalition de forces alignées sur l'Armée nationale libyenne-, ne l’exonère pas de ses responsabilités. Le Groupe de travail a, en effet, estimé que « le Gouvernement d'entente nationale aurait dû avoir connaissance des actions menées par l'Armée nationale libyenne et ses affiliés et aurait dû prendre des mesures pour protéger les individus si ces actions dépassaient les limites de la légalité ». 

Les experts ont ainsi relevé la responsabilité du gouvernement du fait des actions des milices affiliées au général Haftar qui ont procédé à l’arrestation et à la détention d’Al Daguel et qui contrôlent la prison d'Al Kouifya où il est toujours privé de liberté.

Le Groupe de travail a rappelé que l’obligation pour « l'État de prévenir et de réprimer les crimes et de s'acquitter de ses obligations en matière de droits de l'homme demeure intacte, que les actions de l'Armée nationale libyenne puissent ou non être attribuées au Gouvernement d'entente nationale ».

Le Groupe de travail relève le caractère arbitraire de la privation de liberté

La disparition forcée d’Al Daguel a été considérée comme une forme particulièrement aggravée de détention arbitraire selon le Groupe de travail qui a rappelé qu’« aucune juridiction ne devrait permettre que des individus soient privés de leur liberté en secret pour des périodes potentiellement indéfinies, détenus hors de portée de la loi (…)». Celui-ci a ajouté que l’existence d’une loi ou d’une pratique nationale autorisant l’arrestation ne suffit pas à elle seule à conférer une base juridique à la privation de liberté.

Par ailleurs, le maintien d’Al Daguel en détention sans avoir été présenté à une autorité judiciaire compétente tout en ayant été détenu au secret, dans des circonstances de disparition forcée, sans accès à des avocats et à sa famille et sans n’avoir jamais été présenté devant un tribunal ou une autre autorité judiciaire constitue, selon les experts onusiens, une violation des garanties procédurales consacrées par le Pacte ratifié par la Libye en 1970.

Le Groupe de travail a également insisté sur le caractère « exceptionnel » d’une détention provisoire indiquant que celle-ci « doit être ordonnée pour la durée la plus courte possible », la détention en attendant le procès devant « être fondée sur la détermination individuelle qu'elle est raisonnable et nécessaire à des fins telles que prévenir la fuite, l'interférence avec les preuves ou la récidive » ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Les experts ont relevé que le droit d’Al Daguel à un recours effectif a lui aussi été compromis dès lors qu’il n’a pas eu l’opportunité de contester sa détention.

En outre, le Groupe de travail a reconnu la nature « purement politique » des raisons de l’arrestation d’Al Daguel qui a été arrêté « en représailles directes de ses critiques » envers les milices de Haftar. En l’espèce, l’arrestation de la victime en raison de ses publications sur Facebook constitue une violation de sa liberté d'expression et de son « militantisme civique ». A cet égard, les experts ont rappelé que « les seules limitations légitimes à l'exercice des droits et libertés d'une personne sont celles qui visent à assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et à satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique » et que dans le cas présent « le gouvernement n'a présenté aucune raison légitime justifiant les restrictions au droit ».

Enfin, le Groupe de travail a noté que la restriction illégale du droit de visite ou encore du droit d’accès à un avocat à tout moment de la détention, y compris immédiatement après le moment de l’arrestation, est une violation du droit d’Al Daguel à un procès équitable. Les experts ont jugé que « sans évaluation judiciaire individualisée depuis son arrestation (…) » la détention provisoire « a clairement porté atteinte à la présomption d'innocence » et « violé le droit d'être jugé sans retard excessif ».

Pour toutes ces raisons, le Groupe de travail de l’ONU a conclu à la responsabilité de l’État partie du fait des violations subies par Omar Al Mukhtar Ahmed AL DAGUEL et a appelé les autorités à le faire libérer en lui accordant une réparation appropriée dans le délai qui lui a été imparti.

Alkarama appelle pour sa part le procureur général, qui exerce un contrôle effectif sur les autorités judiciaires de Benghazi responsables de la détention de la victime, à mettre en œuvre au plus tôt l’Avis des experts onusiens.