Émirats arabes unis : Les centres Munasaha, un autre moyen de réduire au silence les prisonniers d'opinion
Le 05 aout 2022, Alkarama a soumis les cas de Ahmed Ghaith AL SUWAIDI, Ahmed AL ZAABI, Ali AL HAMMADI, Ibrahim AL MARZOOQI, Hassan AL JABIRI, Husain AL JABIRI, Shaheen ALHOSANI, Sultan Bin Kayed AL QASIMI, Abdulsalam Darwish AL MARZOOQI, Khalid Mohammed ALYAMMAHI au Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) concernant leur maintien en détention dans les centres Munasaha en dépit de l’expiration de leurs peines.
Rappel des faits
Les victimes mentionnées ci-dessus ont été toutes arrêtées dans le courant de 2012 dans le cadre de la vaste campagne de répression engagée par les autorités émiraties contre tous les activistes des droits de l’homme et les militants politiques dans le pays à la suite du « printemps arabe ».
Certaines des personnes arrêtées avaient signé une pétition appelant à des réformes politiques et à un minimum de démocratie alors que d’autres, membres du mouvement « Al Islah » jusqu’alors toléré, avaient appelé au respect des droits civils et politiques de leurs concitoyens.
Tous ont été condamnés à des peines allant de 7 à 15 ans d’emprisonnement dans le cadre du procès " UAE 94 " devant la Cour de sécurité de l'État d'Abu Dhabi le 4 mars 2013. 69 des accusés présents avaient été condamnés à la suite d’un procès unanimement qualifié comme inéquitable. Au cours de l’audience, le président du tribunal lui-même avait reconnu le caractère politique du procès.
L'observation du procès devait initialement être effectuée par la représentante d'Alkarama mais celle-ci s’était vue refuser l'entrée dans le pays à son arrivée le samedi 2 mars 2013. N’ayant pas été identifiée à son arrivée, la chargée de communication a cependant pu y assister et rencontrer les avocats des victimes Ahmed Mansour et Abdelhamid al Kumaiti.
Au cours du procès, le tribunal n’a tenu compte que des procès-verbaux établis par les services de renseignement contenant les « aveux » faits par les accusés au cours de leur longue détention au secret et a totalement ignoré tous leurs témoignages rapportant la torture et autres mauvais traitements subis pour les obliger à s’auto-incriminer.
Pendant les longs mois de détention secrète totalement coupés du monde extérieur, les victimes n’ont jamais eu accès à des avocats ou à leurs familles et leurs tortionnaires ont eu toute latitude pour leur infliger les pires sévices et construire des dossiers d’accusation pour les faire condamner sous prétexte qu’ils voulaient "renverser le gouvernement des Émirats arabes unis".
Alkarama avait soumis leurs cas au Groupe de travail en 2013 lequel avait adopté l’Avis n° 60/2013 qualifiant leur détention d'arbitraire. Cependant, cette décision n'a jamais été mise en œuvre par les Émirat Arabes Unis (EAU) et les victimes ont purgé la totalité de leur peine traduisant ainsi l’absence totale de volonté des autorités de collaborer avec les mécanismes onusiens.
Pire encore, après avoir purgé leur peine de dix années d’emprisonnement dans des conditions inhumaines, les autorités ont refusé de les libérer et les ont transféré au centre « Munasaha » de la prison d’Al-Razeen, estimant sans doute qu’ils représentent toujours une menace pour la sécurité de l’État et nécessitent ainsi d’être « réhabilités ».
Au cours de ces dix dernières années, Alkarama a continué à suivre avec préoccupation l’affaire UAE94 et la situation des victimes ; elle soumet donc encore aujourd’hui les nouveaux développements les concernant aux mécanismes des Nations-Unies.
Alkarama s’adresse encore au Groupe de travail sur la détention arbitraire
Alkarama a donc soumis une nouvelle demande d'Avis au Groupe de travail sur la détention arbitraire pour l’appeler à intervenir auprès des autorités émiraties et leur enjoindre à libérer les dix victimes et à reconnaitre le caractère arbitraire de leur détention dans les centres Munasaha.
Ces centres ont en réalité pour but d’évaluer la « dangerosité » des détenus ayant purgé leur peine en déterminant s’ils sont toujours dans l’état d’esprit antérieur à leur arrestation auquel cas ils devront être « réhabilités » c'est-à-dire soumis à des séances intensives de rééducation religieuse assurées par des imams officiels. Ceux-ci devront les convaincre de « s’éloigner de la politique » de reconnaitre leurs erreurs passées et d’accepter sans condition l’autorité royale.
Ces centres ont d’ailleurs été dénoncés à de nombreuses reprises par les défenseurs des droits humains comme étant un moyen détourné de réduire définitivement au silence toute opposition pacifique ou toute personne qui exprimerait des opinions ou des idées considérées comme « déviantes » par l’autorité royale.