Arabie Saoudite : Après l'arrestation d'Al-Rashoudi, d'Al-Qahtani, d'Al-Bjadi, d'Al-Hamid et des autres, quel sort réservent les autorités saoudiennes à Fawzan Al-Harbi ?

Fawzan Mohsen Oud Al-Harbi, président par interim de l'Association saoudienne pour les droits civils et politique (ACPRA), nous a informé qu'il se rendra demain 11 mai 2013 au Bureau des enquêtes et des poursuites à Riyad. Cette convocation intervient dans le cadre d'une campagne de représailles menée par les autorités saoudiennes contre les militants des droits de l'homme du pays, en particulier contre les membres de l'ACPRA, et les "réformateurs". Cette campagne s'est particulièrement intensifié au rythme des mouvements de manifestations pacifiques organisées à travers tout le royaume au cours des derniers mois par des familles de détenus qui demandent la libération de leurs proches, le limogeage du ministre de l'Intérieur et son procès.

« Je m'attends à être arrêté », Fawzan Al-Harbi

Fawzan Al-Harbi a été élu président de l'ACPRA en mars 2013, suite à l'arrestation de Suleiman Al-Rashoudi en décembre 2012. Depuis des années, il documente dans le cadre du travail de l'association de nombreux cas de détention arbitraire et assiste également les familles de ces détenus à faire entendre leurs voix auprès du ministère de l'Intérieur. Dans un entretien téléphonique avec Alkarama le 10 avril 2013 il nous confiait déjà: « Je m'attends à être arrêté. »

Les autorités saoudiennes ont arrêté la plupart des fondateurs de l'ACPRA, dont nous publions ici la liste :

1. Suleiman Ibrahim Al-Rashoudi, ancien juge, avocat et l'un des plus éminents défenseurs des droits de l'homme en Arabie Saoudite. Ancien président de l'ACPRA.

Il a été emprisonné à de nombreuses reprises. Sa dernière arrestation date du 12 décembre 2012, deux semaines après son élection comme président de l'ACPRA. Il est actuellement détenu à la prison d' Al-Hayer à Riyad.

Suleiman Al-Rashoudi est un militant des droits de l'homme de longue date qui n'a eu de cesse de demander des réformes démocratiques. Déjà en 1993, il participait à lacréation de la commission de défense des droits légitimes. Il a été incarcéré après cela pendant deux mois et son étude d'avocat a été fermée pendant 10 ans. En février 2007 il a été arrêté à Jeddah avec un groupe de militants qui préparaient l'établissement d'une association de défense des droits de l'homme et de demandes de réformes démocratiques. Le gouvernement les a accusés de d'être impliquées dans des actes terroristes et de vouloir créer un parti politique, ce qui est interdit par la loi en Arabie saoudite. Parmi le groupe de détenus arrêtés figure aussi Dr Saoud Mukhtar Al-Hashimi, lauréat du Prix Alkarama 2012, condamné à 30 ans de prison. Suleiman Al-Rashoudi a été détenu pendant cinq ans et a été libéré en juillet 2011.

Quatre mois après sa sortie, la Cour criminelle spéciale de Riyad l'a à nouveau condamné à 15 ans de prison et à une interdiction de voyager de 15 ans. Il s'était en effet attiré les foudres des autorités saoudiennes en donnant, le 10 décembre 2012, une conférence sur la légitimité en Islam et dans le droit international du droit à manifester pacifiquement. Son discours allait à l'encontre du discours religieux officiel du gouvernement saoudien.

2. Mohamed Saleh Al-Bjadi : Membre fondateur de l'ACPRA, défenseur des droits de l'homme et réformateur.

Il a été détenu sans jamais avoir été jugé du 4 septembre 2007 au 1er janvier 2008 pour avoir aidé un groupe d'épouses de détenus arbitraires à manifester devant le siège de la principauté de la région de Qassim à Buraydah. En 2010, il a par ailleurs révélé la mort sous la torture du ressortissant yéménite Sultan Al-Daissi, décédé dans l'aile des prisonniers politiques de la prison d'Al Hayer à Al Qassim. Ebruiter l'affaire dans les médias lui a valu de devenir la cible des services de renseignement généraux saoudiens. Le 21 mars 2011, il a été arrêté à son domicile à Buraydah après avoir participé la veille à un rassemblement de familles de détenus arbitraires devant le ministère de l'Intérieur à Riyad. Suite à son arrestation, il a été détenu incommunicado pendant 4 mois. Son procès à huis clos a débuté en août 2011 devant la Cour criminelle spéciale qui l'a condamné le 10 avril 2012 une peine de quatre ans d'emprisonnement et une interdiction de voyager de cinq ans. Mohamed Al Bjadi a fait une grève de la faim à trois reprises pour protester contre les mauvais traitements qu'il subissait dans l'aile des prisonniers politiques de la prison d'Al Hayer. Depuis le 19 septembre 2012, personne n'a de nouvelles de lui après qu'il a appelé sa femme de la prison pour lui annoncer qu'il allait entamer une nouvelle grève de la faim.

3. Abdullah Hamid Al-Hamid : Eminent défenseur des droits de l'homme, Membre fondateur de l'ACPRA , figure intellectuelle et réformateur. Titulaire d'un doctorat de l'université Al Azhar en Egypte, il était professeur de littérature arabe à l'université islamique de l'Imam Mohamed Saoud avant d'être licencié dans les années 1990 en raison de son militantisme.

Dr Al Hamid a été emprisonné sept fois. La première fois, il a été incarcéré pour avoir participé à la création de la commission de défense des Droits légitimes en 1993. Il a ensuite été emprisonné en 2004 après avoir demandé avec d'autres réformateurs l'instauration de la monarchie constitutionnelle. Il été gracié deux ans plus tard. Il a ensuite été arrêté en 2008 et condamné à six ans de prison. Il a été de nouveau arrêté le 9 mars 2013 et condamné, le même jour que Mohammad Fahad Al Qahtani, à onze ans de prison et à une interdiction de voyager de la même durée.

4. Mohammad Fahad Al-Qahtani : Membre fondateur de l'ACPRA, Professeur à l'institut des études diplomatiques sous la tutelle du ministère des Affaires Etrangères saoudien, il a obtenu son doctorat à l'université de l'Indiana (Etats-Unis).

Intellectuel et défenseur des droits de l'homme, il a publié plusieurs articles dans de nombreux journaux saoudiens. Après chaque publication, il a dû prendre quelques temps ses distances avec l'écriture. En novembre 2012, le magazine Foreign Policy l'a élu parmi les cent plus grandes figures intellectuelles mondiales.

Le 9 mars 2013, il a été condamné en même temps que Dr Al Hamid à dix ans de prison et à une interdiction de voyager de la même durée. Il est actuellement avec Dr Al Hamid à la prison d'Al-Hayer.

5. Abdulkarim Youssef Al Khodr : Membre fondateur de l'ACPRA, professeur de jurisprudence comparée à l'université Al Qassim, il a été interdit d'enseignement à cause de ses articles et de ses recherches qui allaient à l'encontre du discours religieux officiel. Son procès qui a débuté le 11 février 2013 est toujours en cours. Le 24 avril 2013, jour de la quatrième audience, le juge a ordonné qu'il soit placé en détention pendant quatre mois. Il avait en effet refusé d'entrer dans la salle d'audience, parce que les femmes n'avaient pas été autorisées à y accéder. Al Khodr a été emmené à la cinquième audience menotté et a demandé que la salle d'audience soit ouverte aux femmes. Le juge a donc levé la séance et l'a reportée au 11 mai 2013. Al Khodr est actuellement détenu à la prison d'Al Buraidah.

Alkarama suit de près cette campagne de représailles contre les militants de l'ACPRA par les autorités saoudiennes qui dure maintenant depuis plusieurs années et continuera de tenir informés les mécanismes onusiens des droits de l'homme des développements de cette affaire.

Parmi les accusations usuelles portées contre les défenseurs des droits de l'homme en Arabie saoudite figure celle de publier ou divulguer de "fausses informations présentées comme des faits établies aux mécanismes officiels internationaux" (en d'autres termes, les mécanismes onusiens des droits de l'homme).

Alkarama condamne les persécutions dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme en Arabie saoudite et tient à rappeler dans ce contexte aux autorités saoudiennes la Résolution 12/2 du 12 octobre 2009 du Conseil des droits de l'homme qui "demande instamment aux gouvernements d'empêcher et de s'abstenir de commettre tout acte d'intimidation et de représailles contre ceux (...) qui recourent ou ont recouru aux procédures mises en place sous les auspices des Nations Unies pour assurer la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tous ceux qui lui ont fourni une assistance juridique."

Nous appelons les autorités à respecter cette résolution et à mettre un terme aux actes de représailles contre Fawzan Al Harbi, ses collègues de l'ACPRA et tous les autres défenseurs des droits de l'homme en Arabie saoudite.