ALGERIE : Plusieurs experts de l’ONU appellent le gouvernement à réformer sa législation anti-terroriste

مصطفى قيرة يحمل شعار لا لحكم العسكر

Le 27 décembre 2021, la Rapporteuse spéciale sur la promotion de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, le Groupe de travail sur la détention arbitraire, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et, enfin, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ont appelé, dans une communication conjointe, les autorités algériennes à réviser leur législation pénale au motif qu’elle est contraire aux normes internationales en matière de lutte antiterroriste.   

Dans une communication en date du 3 septembre 2021, Alkarama avait saisi les experts de l’ONU sur l’utilisation abusive de cette législation pour réprimer des mouvements politiques, des activistes et des manifestants pacifiques. L’attention des mécanismes de protection des droits de l'homme avait été attirée sur la situation actuelle des droits de l'homme en Algérie et sur les défis pressants auxquels est confrontée la société civile dans l'exercice pacifique de ses libertés fondamentales à s’exprimer et à manifester dans le cadre du « Hirak », un mouvement généralisé de protestation populaire pacifique.

A la suite du rapport soumis par Alkarama, plusieurs experts ont conjointement appelé le gouvernement à réviser sa législation antiterroriste à la lumière des recommandations qui ont été exprimées.

1. Les experts relèvent le « caractère vague et imprécis » de la définition du « terrorisme » dans la législation pénale interne

Dans son analyse Alkarama avait souligné le manque de clarté et de prévisibilité de la notion de terrorisme indiquant que la définition retenue dans cette loi étend considérablement son champ d’application allant jusqu’à criminaliser les actes relatifs à la liberté d'opinion, d'expression et de réunion pacifique.

Une préoccupation partagée par tous les experts de l’ONU qui ont considéré qu’en « incluant dans la catégorie d’acte terroriste une large variété d’infractions » la loi anti-terroriste « entre en collision avec le principe de sécurité juridique, porte atteinte aux droits de réunion pacifique et à la liberté d’expression, et imposent également des sanctions disproportionnées à des actes qui ne devraient pas être traités par des législations antiterroristes. »

La nécessité de réforme de cette législation avait déjà été soulignée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui avait affirmé, au cours du quatrième rapport périodique de l’Algérie en 2018, que la définition du terrorisme pourrait permettre « la poursuite de comportements qui peuvent relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique ».

Au lieu de se conformer aux recommandations du Comité Onusien, les autorités algériennes sont allées dans le sens contraire en introduisant de nouvelles dispositions juridiques en totale violation des normes internationales.

Les experts ont fermement rappelé que « le travail légitime et pacifique des défenseurs des droits humains ne doit jamais tomber sous le coup des législations antiterroristes ou autrement être criminalisé » et ont ainsi appelé les autorités algériennes au respect du droit international.

2. L‘inscription sur la liste de « terroriste », totalement dénuée de garanties procédurales

Le 18 mai 2021, le Haut Conseil de Sécurité (HSC), une instance consultative dominée par les militaires a annoncé l’inscription des mouvements « Rachad » et « Mak » sur la liste des mouvements terroristes en considérant « que les actes hostiles et subversifs commis par les mouvements dits "Rachad" et "MAK" déstabilisent le pays et portent atteinte à sa sécurité, et a décidé, dans ce contexte, de les classer sur la liste des organisations terroristes et de les traiter comme telles ».

Le mouvement « Rachad » visé par cette décision n’est pas agrée en Algérie alors qu’il bénéficie d’une existence légale dans plusieurs pays européens (France, Suisse, Royaume-Uni, Belgique) sous forme d’associations enregistrées. Ouvert à tous les algériens, dans le respect de leurs différences idéologiques, Rachad bannit toutes formes d’extrémisme en prônant la non-violence pour amener un changement du système de gouvernance en Algérie et l’instauration d’une démocratie et d’un État de droit.

Avec l’apparition du « Hirak » en Algérie à l’annonce du cinquième mandat de l’ex-président Bouteflika en février 2019, Rachad a apporté une contribution fondamentale pour préserver le caractère non violent des manifestations. C’est pour ces raisons évidentes liées à l’absence totale de liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique dans le pays, que les membres du Haut Conseil de sécurité ont décidé de classifier Rachad comme une « organisation terroriste ».

Sur la base des explications fournies par Alkarama dans son rapport, les experts ont effectivement relevé que l’inscription sur la liste de « terroriste », en plus d’être contraire aux principes de légalité, de sécurité juridique, de proportionnalité et de nécessité ; est dénuée des garanties procédurales indispensables à son application.

En effet, Alkarama avait démontré que les processus d'inscription et de radiation manquent de transparence et qu’aucun critère clair ni aucune forme de norme de preuve susceptibles de justifier une telle inscription ne sont pris en compte dans le cadre de ce processus.

En outre, la décision d'inscrire des individus et des groupes sur la liste n'est soumise à aucun mécanisme d’examen compétent et indépendant privant ainsi les individus concernés de leur droit d'être entendu dans un délai raisonnable par un organe de décision compétent.

Cette absence de contrôle a été noté par les experts qui ont appelé le gouvernement « à établir, en droit et en pratique, un contrôle judicaire ou législatif sur le fonctionnement et les activités de cette commission ainsi qu’à autoriser, dans le but de garantir un procès équitable, les recours contre ses décisions. ».