ALGERIE : ALKARAMA SOUMET A l’ONU LA QUESTION DE L’INCRIPTION ILLEGALE SUR LES LISTES DE PERSONNES CONSIDÉRÉES COMME « TERRORISTES »

الجزائر الجريدة الرسمية قوائم الارهاب

En dépit de nombreux appels des experts indépendants onusiens à réviser sa législation antiterroriste qui viole tant le droit interne que le droit international, les autorités algériennes ont procédé à l’inscription illégale de 16 personnes dans des listes « terroristes ». 

En l’absence de recours effectifs contre ces inscriptions, plusieurs des personnes concernées ont décidé de référer leur situation à plusieurs titulaires de mandats au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour dénoncer la violation de leurs droits et libertés fondamentales. 

Pour rappel, ces listes avaient déjà été qualifiées en septembre 2021 d’illégales par les experts indépendants des droits de l’homme des Nations Unies, tant du point de vue du droit international que de celui du droit algérien.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des organes onusiens rappellent les autorités d’Alger à leurs obligations internationales en matière de respect des droits fondamentaux des citoyens algériens.  En 2018, le Comité des droits de l’homme avait déjà exprimé ses préoccupations « quant à l’article 87 bis du Code pénal retenant une définition du crime de terrorisme trop large et peu précise, permettant la poursuite de comportements qui relèvent de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique ». 

Il s’était également inquiété « des allégations faisant état de l’utilisation indue des dispositions anti-terroristes à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme ou de journalistes », appelant les autorités algériennes à s’assurer que ces dispositions ne soient plus utilisées pour violer les droits humains.

Ce n’est pas la première fois que les autorités algériennes font recours aux listes « terroristes » contre des opposants politiques. 

En effet par lettre datée du 16 avril 2003, le gouvernement algérien, par la voix de son représentant permanent aux Nations-Unies à New-York, Abdellah Baali, avait demandé au Conseil de sécurité de l’ONU d’inscrire plusieurs militants politiques algériens sur les listes d’Al Qaida ; le Conseil de Sécurité avait alors rejeté ces prétentions au motif que les informations données par les autorités algériennes étaient « peu fiables ». 

UN USAGE ABUSIF DES LOIS ANTITERRORISTES POUR REPRIMER LA SOCIETE CIVILE

Alkarama a rappelé dans sa plainte que les dispositions anti-terroristes contenues dans le Code pénal algérien sont en violation flagrante des obligations internationales de l’Algérie, rendant ainsi toute inscription d’entités ou de personnes nulles en droit international.

En septembre 2021, Alkarama avait soumis à plusieurs experts onusiens, dont la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, une analyse des différents décrets édictés par le régime d’Alger pour criminaliser les revendications pacifiques du Hirak. 

Le 27 décembre 2021, la Rapporteuse spéciale avait alors envoyé aux autorités une communication cosignée par plusieurs autres experts internationaux enjoignant au gouvernement d’abroger la législation adoptée depuis le début du Hirak. 

Parmi les dispositions visées, celles de l’Ordonnance n° 21-08 et la loi n° 20-06 du 22 avril 2020 modifiant le Code pénal qui ont fait l’objet de nombreuses critiques, notamment en ce qu’elles portent « des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, le droit à la sécurité de la personne et au procès équitable, tels qu’établis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans le Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l’Algérie le 12 septembre 1989 ».  

Pour rappel, le droit et la pratique internationale indiquent que pour être qualifié comme « terroriste » un acte doit nécessairement être violent et dirigé contre des civils, dans l’intention de leur causer la mort ou des blessures graves, et ce afin de contraindre un gouvernement à faire ou ne pas faire certaines choses.

Or, pour réprimer la société civile, les autorités algériennes ont édicté une définition particulièrement extensive du terrorisme, en associant les actes dits « subversifs » et actes « terroristes » en omettant de préciser que ces actes doivent être violents et avoir pour but de semer la terreur parmi les civils. 

Ainsi, la définition adoptée permet aux autorités de poursuivre, en vertu de la législation anti-terroriste, des personnes pour des actes non violents comme l’entrave à la circulation dans le cadre de manifestations ou encore l’occupation des places publiques. 

C’est sur le fondement de ces textes que depuis 2019, un nombre croissant de militants, journalistes et défenseurs des droits humains actifs dans le Hirak, ont été poursuivis en justice sous des accusations de terrorisme.

DES LISTES QUALIFIEES D’ILLÉGALES ET D’ARBITRAIRES PAR LES EXPERTS DE L’ONU

Le 18 mai 2021, le Haut Conseil de sécurité (HCS) annonçait par voie de communiqué de l’agence d’état, Algérie Presse Service (APS) considérer les deux mouvements politiques pacifiques d’opposition RACHAD et MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) comme « terroristes », en violation du principe de légalité. 

En effet, le HSC est un organe consultatif non élu composé de membres de l'exécutif à majorité militaire et chargé par la Constitution de préserver la « sécurité de l'État ». Parmi ses principales compétences, le Haut Conseil de Sécurité peut instaurer l'état de siège et l'état d'urgence sans aucun contrôle démocratique, lui permettant également de désigner des individus et des groupes comme terroristes sans aucun contrôle judiciaire. 

Dans sa communication, Alkarama a d’ailleurs rappelé que les experts onusiens avaient déjà souligné que « tous les membres du Conseil (HCS) sont soumis au pouvoir exécutif et viennent, pour la plupart, des organes sécuritaires de l'État ».

Ainsi ces procédures pouvaient selon eux « donner lieu à des abus et permettre la prise de décisions arbitraires ». 

Ainsi, c’est sur le simple fondement d’un communiqué de presse ordonné par le HCS que seront poursuivis et emprisonnés de nombreux activistes pacifiques, journalistes, avocats et défenseurs des droits humains du fait de leur appartenance réelle ou supposée à l’un des deux mouvements.

Pour tenter de donner un semblant de légalité à leur démarche les autorités d’Alger ont adopté les textes règlementaires qui régissent les procédures d’inscription, notamment le Décret exécutif n° 21-384 du 7 octobre 2021 qui établit une Commission en charge de ces procédures. 

C’est donc dans ces conditions, qu’Alkarama a demandé aux experts de rappeler que les inscriptions des plaignants dans ces « listes terroristes » devaient être considérées comme nulles en droit international et d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger cette législation.

UNE FORME GRAVE DE REPRÉSAILLES CONTRE LA CRITIQUE PACIFIQUE DU RÉGIME 


Les requérants ont exposé dans leur plainte au Rapporteur spécial que ces listes étaient fondées sur l’article 87bis du code Pénal qui définit comme « terroriste » le fait « d’œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soir, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ». 

Dans leur communication de septembre 2021, les experts indépendants de l’ONU avaient souligné que l’inclusion de la formule « moyens non constitutionnels » dans la définition du terrorisme nuit à l’exercice des libertés d’association et de réunion pacifique, notamment « compte-tenu du contexte socio-politique algérien actuel ».

En effet, les experts se sont inquiétés de ce que cette expression « pourrait effectivement être employée à l’encontre de militants et manifestants non violents cherchant à faire avancer leur mouvement ou revendications par des canaux autres que ceux proposés par le cadre institutionnel établi par les autorités » et qu’ainsi « toute critique ou opposition au système de gouvernance tel qu’établi par la Constitution de 2020 » pourrait être poursuivie comme acte terroriste. 

Ainsi, dans leur plainte, les requérants ont argumenté, qu’en pratique, et étant donné que la principale revendication du mouvement populaire du Hirak est précisément un changement de la nature de la gouvernance d'un État militaire vers un État civil et démocratique, tous les Algériens qui appellent publiquement à un « État civil et non militaire » (credo du Hirak) peuvent être poursuivis, en vertu de cet article, pour terrorisme. 

De même, les membres de RACHAD listés ont souligné que le simple fait que la Charte du mouvement affirme que sa mission principale est d’œuvrer, selon les principes de la non-violence, pour un changement radical « de la conception du pouvoir en Algérie », suffit aux autorités algériennes pour considérer le mouvement comme « terroriste ».

Or, comme l'a souligné l'ancien Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, dans son rapport sur « l'impact de la guerre contre le terrorisme sur la liberté d'association et de réunion pacifique » : 

« Le fait qu'une association appelle à atteindre par des moyens pacifiques des fins contraires à l'intérêt de l'État ne suffit pas à la qualifier de terroriste ».

« Au fond, la qualification de toute volonté de changement populaire comme une forme de « terrorisme » revient à criminaliser l’exercice du droit le plus fondamental d’un peuple : celui de disposer de lui-même », a précisé Me Rachid Mesli, Directeur juridique d‘Alkarama. 

« Sans le respect de ce droit, au fondement même de l’histoire collective algérienne, aucune liberté publique, ni droit fondamental ne pourra être pleinement respecté et exercé. Un peuple ne saurait disposer de lui-même, ni les individus qui le composent jouir pleinement de leurs droits, tant que ses demandes légitimes et pacifiques de changement de gouvernance vers plus de redevabilité seront considérés comme des crimes terroristes et poursuivis comme tels ». 

LE RECOURS AUX PROCÉDURES INTERNATIONALES FACE A UNE GRAVE DEGRADATION DE LA SITUATION DES DROITS HUMAINS EN ALGERIE

Face à ces graves attaques contre les droits et libertés fondamentales des citoyens algériens exilés à l’étranger, Alkarama a appelé les experts onusiens à se saisir de la question de l’internationalisation de la répression en détournant la finalité des mécanismes d’entraide en matière de lutte contre-terrorisme. 

Alkarama a souligné que ces listes servaient au régime d’Alger de peines de substitution produites exclusivement par un organe sécuritaire en dehors de toute procédure judiciaire, notamment contre les opposants qui se trouvent à l’étranger. 

L’adoption de telles mesures peut également s’expliquer eu égard aux décisions récentes d’INTERPOL de refuser de donner suite aux demandes des autorités d’Alger d’émettre des notices rouges contre les personnes listées et au refus des autorités judicaires de plusieurs États de les extrader du fait du caractère totalement infondé des demandes. 

Alors que certains Etats comme la France, l’Italie et Suisse ont refusé de donner suite aux demandes d’extraditions formulées par l'Algérie à l’encontre d’opposants pacifiques, considérant que ces demandes étaient injustifiées, d’autres Etats coopèrent directement avec les autorités algériennes dans leur politique répressive.

Ainsi, Alkarama a exprimé sa vive préoccupation face aux agissements du gouvernement espagnol qui, tout en se déclarant respectueux des droits fondamentaux, a coopéré avec les autorités d’Alger dans cette forme grave de persécution en livrant illégalement Mohamed Abdellah et Benhalima Mohamed Azzouz aux autorités d’Alger. 

Alkarama a rappelé qu’en aucune manière la coopération internationale contre le terrorisme ne devrait servir de prétexte pour internationaliser la répression des opposants politiques ou des défenseurs des droits humains. 

Enfin, Alkarama a également décidé de référer cette question aux organismes des Nations Unies spécialisés dans la coopération entre Etats dans le contre-terrorisme, comme l’Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime.