L'Algérie questionnée par le Comité des droits de l'Homme de l'ONU

Alkarama for Human Rights, 21 septembre 2007

Les experts du Comité des droits de l'homme de l'ONU vont examiner le 23 octobre 2007 le troisième rapport périodique du gouvernement algérien.
Durant sa 90e session qui s'est déroulée à Genève du 9 au 27 juillet 2007, les experts du Comité ont pris connaissance des rapports alternatifs soumis par plusieurs ONG. Alkarama et Algeria-Watch avaient présenté le 23 juillet 2007 des observations communes . Le Comité a arrêté la liste des points qui seront traités à l'occasion de cet examen du rapport périodique et auxquels la délégation algérienne sera tenue d'apporter des réponses. Nous rappelons ici les questions qui relèvent des préoccupations d'Alkarama.

Le but de l'examen du rapport périodique de l'Algérie et des rapports alternatifs des ONG est notamment de vérifier l'implémentation des principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans le cadre juridique algérien et l'application concrète de ses dispositions.

L'article 132 de la Constitution algérienne prévoit que " les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi ". Il est donc tout à fait possible, selon cette disposition de la Constitution, d'invoquer les articles du Pacte international devant des juridictions algériennes, ces articles ont même prééminence sur la loi interne. En conséquence, le Comité des droits de l'homme souhaiterait savoir, d'une part si les tribunaux nationaux s'appuient sur le Pacte dans leurs décisions, et d'autre part " quels tribunaux ont compétence pour vérifier la compatibilité et l'application des lois nationales avec les dispositions du Pacte "

Le gouvernement algérien assure tout mettre en œuvre pour défendre et promouvoir les droits de l'homme et en veut pour preuve la mise en place de la Commission nationale consultative de la promotion et de la protection des droits de l'homme (CNCPPDH) depuis le 9 octobre 2001. Le Comité demande si les rapports annuels de la Commission sont rendus publics et prie le gouvernement algérien de préciser quelles mesures concrètes sont prises pour la consolidation du respect des droits de l'homme sous forme de contenu, calendrier et plan national.

L'ordonnance de mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, promulguée en février 2006 affecte manifestement les principes énoncés dans le Pacte. Afin de mieux saisir l'impact de cette ordonnance, le Comité souhaite des précisons sur le nombre des personnes ayant bénéficié des mesures de grâce et d'amnistie, chiffres qui n'ont jamais été rendus publics. Aussi le texte de loi n'est pas clair à propos des catégories de personnes qui ont bénéficié de ses dispositions d'amnistie. Est ce que les membres des groupes de légitime défense en bénéficient? Les personnes ayant commis des massacres collectifs, attentats et viols peuvent-elles être amnistiées?
Le flou qui entoure l'ordonnance quant aux délais de son application incite le Comité à questionner si elle s'applique à des actes commis après son adoption.

L'état partie au Pacte s'engage à rendre publiques les constatations du Comité dans les communications individuelles et surtout à appliquer les recommandations de ce dernier. Comment le gouvernement protège-t-il les droits des requérants? L'amnistie prévue pour les forces de sécurité (art. 45 de l'ordonnance) et l'interdiction de dénoncer des violations (art. 46) vont elles avoir des répercussions sur le droit de présenter des communications individuelles tel que prévu par le protocole facultatif?

Les autorités algériennes n'ont ménagé aucun effort pour tenter de convaincre l'opinion publique de la compatibilité de l'état d'urgence, instauré en 1992, avec l'exercice des libertés fondamentales que l'Etat s'engage à respecter et promouvoir. Le Comité demande si dans ce cas, l'Etat envisage de mettre fin à cet état d'urgence?

Le gouvernement algérien explique dans son rapport périodique que " sont exclues du bénéfice des dispositions de cette loi, les personnes ayant commis ou participé à la commission de crimes ayant entraîné mort d'hommes, de massacres collectifs, d'attentats à l'explosif en des lieux publics ou fréquentés par le public ou de viols ". Dans cet ordre des choses, le Comité souhaite des précisions sur la définition des actes terroristes, sachant que la législation algérienne a connu des modifications notoires notamment avec l'introduction de nombreuses dispositions du décret du 30 septembre 1992 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme dans le code pénal.

En outre, le gouvernement algérien affirme combattre le terrorisme dans le plus grand respect des droits de l'homme. C'est dans cet esprit qu'auraient été promulguées en 1995 la loi sur " la Clémence " (Rahma) et en 1999 celle dite de la " concorde civile ". Cette dernière prévoit l'exonération des poursuites, la mise sous probation et l'atténuation de peines pour certaines catégories de personnes impliquées dans des actes terroristes. En conséquence, le Comité désire plus de détails sur les mesures en vigueur destinées à prévenir ou réduire la menace d'activités terroristes.

Suivent ensuite une longue série de questions exprimant les préoccupations du Comité par rapport aux principes inscrits dans le Pacte consacrés au droit à la vie, l'interdiction de la torture et le traitement des prisonniers.

L'Etat algérien a suspendu les exécutions depuis 1993 mais n'a pas aboli la peine de mort. Jusqu'à ce jour, des peines de mort sont prononcées. Le Comité désire connaître les infractions passibles de celle-ci, le nombre de condamnés à mort entre ceux dont la sentence n'a pas été commuée et ceux condamnés par contumace. Aussi le Comité demande-t-il si l'Algérie prévoit de signer le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte visant à abolir la peine de mort et si un projet allant dans ce sens a été soumis au Parlement. Dans son rapport périodique, le gouvernement annonçait qu'une réflexion était engagée sur un projet de loi prévoyant la " suppression de la peine de mort pour un certain nombre de crimes ".

Les autorités algériennes sont priées de fournir des informations à propos des plaintes déposées contre des agents de l'Etat, et en particulier contre des membres des services de renseignements (DRS) pour exécution sommaire, torture ou mauvais traitement. Dans ce cadre, le Comité demande des renseignements sur les enquêtes diligentées, les condamnations de ces derniers ainsi que sur les indemnisations des victimes. Les autorités procèdent-elles à des examens médicaux sur des détenus pour détecter les victimes de torture?

Une grande importance est accordée par le Comité au traitement de la question des disparitions forcées: Qu'ont fait les autorités pour connaître les circonstances exactes, l'identité des victimes, les causes et lieux de leur décès et de leur ensevelissement? Quelles informations ont été transmises aux familles? La Commission nationale ad hoc, mandatée par le Président de la République pour étudier cette question des disparus, a rédigé un rapport en date du 31 mars 2005. Quand celui-ci sera-t-il rendu public?
Le Comité souhaite connaître le nombre de familles qui doivent demander un certificat de décès afin d'être indemnisé. Il se demande pourquoi cette obligation? Que fait l'Etat pour que l'indemnisation soit proportionnée à la gravité de la violation subie? Et surtout, l'ordonnance portant mise en oeuvre de la Charte, en particulier l'article 45, prévoyant l'amnistie pour les agents de l'Etat, " ira-t-elle à l'encontre de l'obligation qui incombe à l'Etat partie d'identifier et de poursuivre les responsables, et de leur infliger des peines proportionnées à leurs actes? "

Le Comité relève aussi que des informations lui sont parvenues sur la détention arbitraire et l'existence de lieux de détention " échappant à la loi ". Il souhaite savoir s'il existe un registre national des personnes arrêtées et détenues, indiquant le lieu de détention et pouvant être consulté par les familles et les avocats? L'Etat prend-il des mesures pour interdire la détention arbitraire et au secret?
Les personnes soupçonnées d'atteinte à la sécurité de l'Etat et placées en garde à vue sans supervision judiciaire, pour une période allant jusqu'à 12 jours, sont elles présentées devant un juge?
Que fait l'Etat pour protéger les personnes détenues contre les mauvais traitements et tortures? A quel moment peuvent elles être défendues par un avocat? Est-il prévu qu'elles puissent bénéficier d'une défense lors de la garde-à-vue par la police? Savent elles qu'elles peuvent garder le silence? La loi algérienne interdit-elle l'utilisation d'aveux obtenus sous la torture comme éléments de preuve contre le prévenu?

Et dans un autre chapitre, le Comité des droits de l'homme se penche sur les libertés publiques demandant notamment pourquoi les défenseurs des droits de l'homme sont harcelés et intimidés, pourquoi certaines assemblées pacifiques ne sont pas autorisées, si l'Etat a levé l'interdiction de manifestations à Alger, en vigueur depuis 2001?
A propos des restrictions des activités associatives et politiques, le Comité souhaite obtenir des détails sur les demandes d'enregistrement d'associations, le délai d'obtention de l'enregistrement, le nombre de refus et les raisons de ce dernier. L'article 26 de l'ordonnance d'application de la charte limite les activités politiques. L'Etat a-t-il appliqué cette disposition et quels sont les critères pour son application? Les personnes interdites d'activités politiques disposent elles de recours?

La dernière partie des questions est consacrée à l'implémentation des principes du Pacte et du protocole facultatif. Le Comité souhaiterait savoir si des efforts sont fournis pour enseigner ces mécanismes aux diverses professions, notamment aux agents des services de renseignement (DRS). Il demande comment sont diffusées les informations sur ces textes, les rapports périodiques et en particulier les Observations finales du comité.

A l'issue de l'examen du rapport périodique présenté par l'Algérie et des réponses aux questions soulevées, le Comité des droits de l'homme de l'ONU publiera des observations et des recommandations que l'Etat devra non seulement rendre publiques mais surtout appliquer.

Des représentants d'Alkarama, de Algeria-Watch assisteront le 23 octobre prochain à la séance du Comité des droits de l'homme. Ce sera pour eux l'occasion de rencontrer plusieurs experts et de les informer des derniers développements de la situation des droits de l'homme en Algérie et en particulier d'attirer leur attention sur de graves cas de violation récents.

-Ainsi, l'assassinat d'un jeune homme, Kamel Saadi, le 13 juillet 2007, alors qu'il faisait un jogging dans les environs de son village, par le chef de milice Smaïn Mira, député à l'assemblée nationale qui, selon ses propres déclarations, a voulu contrôler l'identité de la victime dans le cadre de l'offensive militaire lancée dans la région par l'armée et à laquelle il participait. Le député Mira, sans avoir jamais été inquiété par la suite, avait déjà en 1997, abattu de sang froid un jeune citoyen au cours d'une manifestation. A notre connaissance, son immunité parlementaire n'a pas été levée et il ne fait pas l'objet de poursuites judiciaires.

- De même le regain récemment constaté des pratiques de la détention au secret et de la torture.

- Enfin, les représentants d'Alkarama ne manqueront pas d'attirer l'attention des experts sur la question de la suite, ou de l'absence de suite, donnée par l'Algérie à toutes les constatations dans lesquelles le Comité a conclu à une violation par l'Algérie des droits consacrés dans le Pacte.