Liban : Alkarama se joint à la société civile pour appeler à la résolution de la situation à Roumieh et dans d’autres centres de détention

Roumieh's prison

Le 26 décembre 2022, Alkarama s'est jointe à plusieurs organisations de la société civile libanaise pour saisir le Sous-comité de l'ONU pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (SPT) ainsi que plusieurs titulaires de mandats au titre procédures spéciales pour demander une action urgente concernant la situation à la prison de Roumieh et dans d'autres centres de détention libanais.

L'accès à la nourriture, à l'eau potable et à un minimum de soins de santé devient de plus en plus difficile pour la population carcérale dans tout le pays, ce qui a un impact considérable sur ceux qui sont déjà les plus vulnérables, notamment les migrants et les réfugiés.

Le problème structurel de la surpopulation carcérale au Liban

L'un des principaux facteurs contribuant à cette situation est l'extrême surpopulation des centres de détention à travers le pays, principalement due à l'utilisation excessive de la détention provisoire. Selon une récente déclaration du Premier ministre libanais, au moins 79 % des personnes privées de liberté dans le pays sont toujours en attente de jugement. Dans la tristement célèbre prison de Roumieh, le taux de surpopulation atteint des niveaux sans précédent avec jusqu'à 300%.

Après leur visite de 2013 au Liban, dans le cadre d'une enquête, les membres du Comité contre la torture (CAT) ont identifié la surpopulation comme un problème majeur, qualifiant d'"effroyables" les conditions de détention dans les prisons libanaises, notamment à Roumieh.

Dans ses dernières observations finales, le CAT s'est dit préoccupé "par le nombre élevé de personnes placées en détention avant jugement, nombre d’entre elles pendant de longues périodes". Le CAT a recommandé au Liban d' "améliorer les conditions de détention et à remédier au surpeuplement dans les établissements pénitentiaires et autres lieux de détention, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté".

Cependant, et à ce jour, les autorités n'ont toujours pas pris de mesures tangibles pour remédier à la surpopulation et mettre en œuvre les recommandations du CAT. À l'issue de leur dernière visite au Liban, les membres du SPT ont également exprimé leur inquiétude " au sujet de la détention provisoire prolongée, de la surpopulation et des conditions de vie déplorables dans les lieux de privation de liberté ".

Dans ce contexte, des rapports réguliers de décès en détention dus à la torture, aux mauvais traitements et au refus de soins et de nutrition appropriés ont été documentés par la société civile. Aucun de ces décès en détention n'a donné lieu à une enquête impartiale, efficace et approfondie, en violation des obligations internationales du pays au titre de l'UNCAT.

Un manque manifeste de volonté politique

Les organisations cosignataires ont souligné que les autorités auraient pu remédier à cette situation si elles avaient eu la volonté politique de le faire. Le Mécanisme national de prévention (MNP) du Liban créé en 2016 et mis en place en 2018 n'est toujours pas opérationnel en raison d'une absence de financement, d'un manque de moyens réels mais aussi d'un manque de volonté de la part de ses membres pour remplir efficacement sa mission.

"Cette absence de responsabilité ne peut être expliquée, ni justifiée, par un manque de moyens. Elle résulte plutôt du manque constant de volonté du gouvernement de s'attaquer aux causes bien connues de la situation désastreuse d'aujourd'hui ", a déclaré Rachid Mesli, directeur juridique d'Alkarama.

Alors que les organisations de la société civile ont depuis longtemps documenté la pratique récurrente de la torture et une culture bien ancrée de violence, d'humiliation et de mauvais traitements en détention, aucune mesure significative n'a été prise par les autorités pour remédier à ces violations.

Absence de mécanismes de responsabilisation efficaces

Les ONG cosignataires ont souligné que si la loi libanaise prévoit que la surveillance des prisons est assurée par le département des prisons du ministère de la Justice, les centres de détention restent sous l'autorité et le contrôle de la Direction générale des forces de sécurité.

Ainsi, et en l'absence d'un mécanisme national de prévention efficace, les détenus n'ont d'autre choix que de soumettre leurs plaintes concernant des actes de torture ou des mauvais traitements aux mêmes autorités qui ont perpétré ou autorisé ces actes.

À ce jour, les recommandations émises par le CAT visant à transférer la gestion de la prison au ministère de la Justice, n'ont pas été mises en œuvre. Dans ce contexte, un recours effectif pour les victimes de mauvais traitements et de torture n'est devenu qu'une illusion.

En pratique, il n'existe aucun lieu de détention au Liban qui soit effectivement soumis à un contrôle judiciaire indépendant.

Comme on pouvait s'y attendre, les avocats des droits de l'homme, les organisations de la société civile et les victimes de torture et de mauvais traitements en détention sont confrontés à un manque total de transparence et de mécanismes de responsabilité de la part des autorités pénitentiaires.

Les demandes de la société civile libanaise

A cet égard, les organisations cosignataires ont déploré le refus du gouvernement libanais de rendre publics les rapports du SPT établis à l'issue de ses visites dans le pays en 2010 et 2022. Ce refus ne fait qu'entraver encore plus les efforts de la société civile pour renforcer la transparence et la responsabilité.

Ceci est d'autant plus important pour la société civile libanaise que son éligibilité à demander des subventions au titre du Fonds spécial du Protocole facultatif à la Convention contre la torture - établi pour soutenir des projets mettant en œuvre les recommandations du SPT - est conditionnée à la publication de ces rapports par l'Etat. Ainsi, le refus du Liban de publier les rapports du SPT ne fait pas seulement obstacle à l'obligation de rendre des comptes, mais prive aussi de fait la société civile libanaise de ressources essentielles pour mener à bien leurs activités.

Dans ces circonstances, les organisations de la société civile ont condamné l'incapacité des autorités à apporter une quelconque amélioration, que ce soit en termes de prévention, de répression ou de réhabilitation, depuis l'adhésion du Liban au Protocole facultatif en 2008.

Elles ont conclu que cette inaction a placé la population carcérale libanaise dans une situation qui ne peut être décrite que comme une nouvelle urgence humanitaire, dans laquelle les garanties les plus fondamentales en détention restent quasiment inexistantes.

À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la gravité et de l'urgence de la situation, les organisations de la société civile soussignées ont demandé ce qui suit :

1. Demande au SPT :

- de programmer une visite de suivi en 2023 à celle effectuée en mai 2022, comme le permet l'article 13 (4) du Protocole facultatif.

Étant donné que la simple création par la loi d'un MNP sans moyens, ni fonctionnement effectif, ne peut être considérée comme satisfaisant aux obligations contenues dans l'article 17 du Protocole facultatif de " maintenir, désigner ou établir ", au plus tard un an après son adhésion " un ou plusieurs mécanismes nationaux indépendants de prévention de la torture au niveau national ", les cosignataires ont demandé au SPT :

- de sanctionner le manquement du Liban à ses obligations au titre de l'article 17 du Protocole facultatif en l'incluant dans sa liste publique des États parties dont le respect de l'article 17 du Protocole facultatif est en retard.

2. Demande aux titulaires de mandat de la procédure spéciale mentionnés dans la lettre :

D'intervenir conjointement auprès des autorités libanaises sur les questions soulevées dans cette lettre, et notamment concernant :

- l'absence de toute mesure de prévention de la torture et des mauvais traitements en détention, en violation de ses obligations à la fois en vertu de l'UNCAT et de son Protocole facultatif,

- les effets du recours excessif à la détention provisoire conduisant à une grave surpopulation dans les centres de détention du pays,

- l'absence de toute mesure ou mécanisme de responsabilisation malgré les nombreux cas de décès en détention dus à la torture, aux mauvais traitements et au refus de soins médicaux et de nutrition, et,

-l'effet accru de ces violations sur la population carcérale vulnérable, y compris, entre autres, les migrants, les réfugiés et les personnes vivant dans la pauvreté.

D'appeler les autorités libanaises à :

- mettre pleinement en œuvre les recommandations du CAT dans le cadre de ses dernières observations finales et les recommandations faites dans le cadre de la procédure d'enquête de l'article 20,

- rendre public le rapport du SPT suite à sa visite au Liban en 2022,

- enquêter de manière efficace, approfondie et impartiale sur tous les cas de décès en détention portés à leur attention par la société civile et les experts des Nations unies et,

- soumettre son deuxième rapport périodique au Comité contre la torture (attendu depuis février 2017) et accepter la compétence du Comité en vertu de l'article 22 pour recevoir des communications individuelles, compte tenu de l'absence de mécanismes nationaux de responsabilisation.

3. Demande aux autorités libanaises de :

- prendre immédiatement des mesures pour réduire la population carcérale en libérant tous les individus en détention provisoire éligibles à des mesures non privatives de liberté,

- offrir à la société civile un accès transparent à l'information et au Fonds spécial du Protocole facultatif à la Convention contre la torture en rendant publics les rapports du SPT suite à sa visite au Liban en 2022,

- doter le Mécanisme national de prévention de moyens et de pouvoirs efficaces lui permettant de remplir sa mission sans entrave, conformément aux obligations internationales qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif,

- mener des enquêtes rapides, indépendantes et approfondies sur tous les décès survenus en détention dans l'ensemble des centres de détention du pays, ainsi que sur toutes les plaintes pour torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

- transférer la gestion de tous les centres de détention du pays du ministère de l'Intérieur au ministère de la Justice, comme le prévoit la loi libanaise,

- soumettre son deuxième rapport périodique, en retard depuis février 2017, au Comité contre la torture et,

- accepter la compétence du Comité en vertu de l'article 22 pour recevoir des communications individuelles.

Organisations soussignées :

Centre d'accès aux droits de l'homme (ACHR)

Active Lebanon Oslo

Alkarama

Cedar Centre for Legal Studies

Helping Hands Fondation

L'institut libanais pour la démocratie et les droits de l'homme (life)

The Legal Agenda

Centre des droits des prisonniers à Tripoli, Association du barreau libanais

Shams Beirut

Union des juristes musulmans

Zaza Consulting Norvège