Algérie: Quand les observations du Comité des droits de l'homme sont qualifiées d'" affabulations à haut débit et qui relèvent de la bouffonnerie "

.
Alkarama for Human Rights, 18 novembre 2008

A l'issue de l'examen du troisième rapport périodique de l'Algérie au cours de la 91 ème session du Comité des droits de l'homme de l'ONU qui s'est tenue à Genève du 15 octobre au 02 novembre 2007, celui-ci avait demandé aux autorités algériennes de lui fournir des informations en rapport avec quelques unes de ses Recommandations dans un délai d'une année.



Dans le cadre de ses activités de suivi des Observations finales du Comité des droits de l'homme, l'organisation Alkarama a  saisi début novembre l'institution onusienne d'une communication afin d'attirer son attention sur les carences et manquements de l'Etat algérien en matière de mise en application des Recommandations émises.

Le Comité demandait notamment que ses Observations finales soient rendues publiques et diffusées dans les plus brefs délais et sur tout le territoire. A la connaissance d'Alkarama, les autorités algériennes n'ont rien entrepris pour informer l'opinion publique algérienne de l'existence de ces Observations.

L'organe onusien avait également formulé toute une série de recommandations à propos de la nécessité du contrôle par les autorités judiciaires et pénitentiaires des centres secrets de détention. Or, leur existence n'est officiellement pas reconnue, et ce en dépit de leur réalité confirmée par de nombreux témoignages de victimes et de leurs avocats.

A l'instar de Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion des droits de l'homme (CNCPPDH), différents représentants officiels ont catégoriquement démenti l'existence de centres secrets de détention et la pratique de la torture qui y est pratiquée sous le contrôle du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Il a qualifié les informations rapportées par le Comité des droits de l'homme de l'ONU d'" affabulations à haut débit et qui relèvent de la bouffonnerie ", n'hésitant pas à affirmer que l'organe onusien " avait dans le passé pris fait et cause pour le terrorisme contre l'Algérie ". (1)

Les personnes soupçonnées d'activités terroristes continuent d'être " prises en charge " par le DRS et détenues dans des locaux qui ne sont pas accessibles aux autorités judiciaires civiles. Alkarama a soumis au Comité des exemples concrets de personnes gardées à vue, pour certains pendant des mois, dans le centre contrôlé par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS ) appelé " Antar ", situé dans le quartier résidentiel d'Hydra à Alger. Pour justifier la détention au secret dans les locaux du DRS, les victimes font l'objet d'une décision administrative d'assignation à résidence, document établi par le ministère de l'intérieur à posteriori pour justifier leur détention au secret.

Le Comité avait en outre recommandé à l'Etat algérien de mener des enquêtes sur les allégations de torture. En réalité, les pouvoirs publics ne prennent pas les mesures nécessaires pour éradiquer la pratique de la torture. Le problème reste entier tant que les responsables de la torture ne sont pas jugés et condamnés. Or, la justice, seule instance civile capable de faire face à l'impunité ne remplit pas son rôle. Il n'y a jamais d'enquêtes lorsque les victimes se plaignent d'avoir subi des tortures.

Une autre série de recommandations concernent les mesures prises par le gouvernement algérien dans le dossier des disparitions forcées de personnes enlevées par les forces de sécurité dont le nombre reconnu par Me Ksentini est de 6 146 personnes. Dans le courant de l'année écoulée, aucune avancée n'a été réalisée : Aucune des recommandations du Comité des droits de l'homme sur cette question n'a été prise en compte. Le comité ad hoc sur les disparus présidé par M. Farouk Ksentini n'a toujours pas rendu public son rapport remis au Président de la République le 31 mars 2005. Aucune liste de noms de disparus n'a été publiée, aucun cas n'a été élucidé officiellement, aucune enquête engagée, aucune plainte n'a été acceptée et aucun responsable d'enlèvement jugé et sanctionné. M. Farouk Ksentini a toutefois constaté que le dossier des disparus " est clos (..), et l'indemnisation des ayants droit des victimes a été une ultime étape ". (2)

A une précédente occasion, il avait expliqué que " les disparitions forcées ont existé, elles ont été un épiphénomène, je considère que ce sont des dépassements causés dans les années 90 par une rupture dans les chefs [chaînes, ndlr] de commandement. " Il ajoute: " Les coups de terrorisme ont été tels, l'armée n'a pas été préparée à intervenir pour y faire barrage, il a y eu des agents de l'Etat qui ont commis des dépassements, d'aucuns ont profité pour (ré)agir par des actes illicites mais cela n'a pas été organisé par l'Etat. " (3)

Les propos de différents représentants de l'Etat montrent bien leur absence de sérieux face aux obligations auxquelles a souscrit l'Algérie. Le ministre de la Justice, lors de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme a clairement fait comprendre que l'Algérie n'a pas l'intention d'inviter le Rapporteur spécial contre la torture. Le représentant du gouvernement algérien auprès de l'ONU, M. Idriss Jazaïri, attaque quant à lui avec une rare violence tous ceux qui critiquent les textes d'application de la charte pour la paix et la réconciliation,  y compris le Comité des droits de l'Homme. Il affirme que les critiques des ONG ne profitent qu'aux seuls "  marchands de la mort, aux adeptes du crime, aux virtuoses de la subversion ; en somme, aux sponsors du terrorisme et à ceux qui se nourrissent du vivier de la tragédie des autres ". (4)

Notes:
1. Le Quotidien d'Oran, 4 novembre 2007.
2. Le Quotidien d'Oran, 8 mars 2008.
3. Le Quotidien d'Oran, 31 décembre 2007.
4. Liberté, 12 juin 2008.