Algérie: L'affaire du décès sous la torture de Mounir Hammouche devant l'ONU

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Alkarama for Human Rights, 15 janvier 2009

Alkarama a adressé le 12 janvier 2009 une communication individuelle au Comité contre la torture lui demandant d'examiner le cas de Mounir Hammouche, arrêté par des membres des services de renseignements (DRS) le 23 décembre 2006, détenu au secret et décédé sous la torture quelques jours plus tard.


Alkarama avait déjà saisi le 18 janvier 2007 dans cette même affaire les Rapporteur spéciaux sur les exécutions extrajudiciaires, sur la torture et sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste de l'ONU.

Mounir Hammouche, né le 15 décembre 1980, résidant à Ain Taghrout dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj avait été arrêté le jeudi 20 décembre 2006 à 20h à la sortie de la mosquée de la ville. Des hommes armés et en tenue civile, circulant à bord d'un véhicule, de marque Peugeot 406, de couleur grise et immatriculée à Alger l'ont embarqué. Il a été conduit à une caserne du Département du renseignement et de la Sécurité (DRS).

Selon sa famille, les agents lui ont reproché "de ne pas faire la prière dans la mosquée la plus proche de son domicile" et "de porter une barbe ainsi qu'une tenue vestimentaire islamique". Il a été libéré le lendemain 21 décembre mais n'a pas voulu dire s'il avait été torturé lors de cette première arrestation.
Deux jours plus tard, le 23 décembre 2006, il a été enlevé une nouvelle fois par ces mêmes personnes circulant à bord du même véhicule, toujours à la sortie de la mosquée après la dernière prière du soir. Six autres personnes ont été arrêtées dans les mêmes circonstances. Toutes ont été conduites à Constantine au Centre territorial de recherche et d'investigation (CTRI), relevant du DRS, où elles ont fait l'objet entre le 23 décembre 2006 et le 03 janvier 2007 de tortures et de mauvais traitements.

Le 29 décembre, les proches de Mounir Hammouche ont été informés du décès de celui-ci lors de sa garde à vue. Les services de sécurité qui ont restitué le corps dans la soirée ont prétendu qu'il "s'était probablement suicidé" et "qu'une autopsie avait de toute façon été pratiquée".

La famille a alors constaté que la victime portait de nombreuses traces de tortures dont une blessure au niveau de la tête ainsi que des ecchymoses au niveau des mains et des pieds. La famille a procédé à l'enterrement du défunt le lendemain 30 décembre 2006 en présence des autorités sécuritaires et sous surveillance policière. La famille est persuadée que Mounir Hammouche est décédé des suites des tortures qu'il a subies alors qu'il était en garde à vue à la caserne du DRS à Constantine.

Toutes les démarches entreprises par la famille dans le but de déposer une plainte pénale contre les services du DRS sont restées vaines. Le procureur général de Constantine a refusé de lui remettre une copie du rapport d'autopsie arguant qu'une information était ouverte et que les résultats lui seraient communiqués en temps opportun. Malgré toutes les promesses faites par les autorités, la famille Hammouche n'a obtenu aucune information officielle sur les circonstances du décès de Mounir.

Alkarama qui suit cette affaire depuis le début avait rappelé le cas de M. Mounir Hammouche et l'absence d'enquête ouverte par les autorités algériennes à la suite de la plainte de la famille de la victime dans sa contribution présentée au Comité contre la torture, dans le cadre de l'examen du rapport périodique de l'Algérie, en date du 4 avril 2008.

M. Hamed Abdelwahab, membre de la délégation algérienne, avait déclaré au cours de la séance du Comité contre la torture du 05 mai 2008 qu'une autopsie avait été effectuée par le Dr Benharkat (directeur de l'institut de médecine légale de Constantine) concluant à un suicide par pendaison. Il a ajouté que la famille pouvait demander le rapport d'autopsie ainsi que les procès verbaux d'enquête préliminaire, ajoutant qu'une " enquête était en cours ".

Dans ses Observations finales adoptées le 13 mai 2008, le Comité contre la torture évoque le décès en garde à vue de Mounir Hammouche, relevant le fait que la famille du défunt n'avait pas eu accès au rapport d'autopsie.

En dépit des affirmations officielles, la famille de la victime n'a jamais obtenu à ce jour ni une copie de ce rapport, ni aucun autre document officiel relatif à cette affaire. C'est la raison pour laquelle elle a décidé de s'adresser au Comité contre la torture afin de faire constater par celui-ci la violation par les autorités algériennes de la Convention contre la torture à laquelle le pays est partie depuis le 12 septembre 1989.

Alkarama rappelle que la plupart des agents du DRS responsables de graves violations des droits de l'homme durant les années 90 et dont beaucoup ont été promus  sont toujours en poste, et que l'impunité leur est garantie depuis la promulgation en février 2006 d'une loi d'amnistie. Celle-ci décrète dans son article 45 qu'" aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l'encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République (…). Toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l'autorité judiciaire compétente ".

Cette amnistie favorise la perpétuation de la pratique de la torture qui continue d'être régulièrement constatée dans les centres secrets contrôlés par le DRS, en particulier pendant la période de garde à vue prolongée. Les experts du Comité contre la torture ont pris pleinement conscience du caractère systématique de cette pratique en Algérie et ont adressé au gouvernement de nombreuses recommandations pour y remédier.