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Tunisie : Le Groupe de travail sur la détention arbitraire saisi des cas de Noureddine BHIRI et Fathi BELDI

Fathi BELDI Ancien conseiller du ministre de l’Intérieur

Après leur appel urgent adressé le 6 janvier 2022 dernier au Rapporteur spécial sur la torture, l’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice, l’AFD International et Alkarama se sont également adressés au Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (GTDA) concernant la situation de l’ex-ministre de la Justice et député, M., Noureddine BHIRI et de l’ancien conseiller au ministère de l’Intérieur, M.Fathi BELDI. Ces deux citoyens sont arbitrairement assignés à résidence depuis leur violente arrestation le 31 décembre 2021 par des membres des services de sécurité.

Le 25 juillet 2021, le président tunisien, Kaïs Saïed a révoqué le chef du gouvernement, suspendu toutes les activités du Parlement et levé l’immunité des parlementaires sur un fondement erroné de l’article 80 de la Constitution. Toujours en violation de la Constitution, il a annoncé qu’il assumerait la totalité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire avec l’aide d’un chef de gouvernement et de ministres qu’il nommerait personnellement.

S’en est alors suivi une série de violations des libertés individuelles et collectives et notamment d’arrestations arbitraires et d’assignations illégales à résidence de députés et de hauts responsables, dont des magistrats et des responsables politiques. Les révocations sur simple décision présidentielle se sont multipliées et se poursuivent depuis le 25 juillet 2021, touchant nombre de hauts responsables de l’administration et de la justice dont certains ont été assignés à résidence sur simple décision administrative

 1. M. Noureddine BHIRI, ancien ministre illégalement assigné à résidence

Le 31 décembre 2021 à 08 heures 15, M. Noureddine BHIRI, se trouvait en compagnie de son épouse, Mme Saïda AKREMI, avocate au barreau de Tunis, dans leur voiture pour se rendre sur son lieu de travail. Alors qu’ils se trouvaient encore à proximité de leur domicile, trois véhicules banalisés appartenant aux services de sécurité leur ont barré la route et plusieurs personnes en sont alors sorties.

L’une d’entre elles s’est dirigée vers Mme Akremi et lui a violemment cogné la tête contre le volant tandis que d’autres se sont ruées sur M. Bhiri pour le sortir de force hors de son véhicule. S’en est suivi un déferlement immédiat de coups à la suite de quoi M. Bhiri a été projeté au sol et a encore été battu alors qu’il était à terre. Pendant ce temps, Mme Akremi a tenté, en vain, de s’enquérir auprès de ses agresseurs sur les raisons de leurs agissements. Ces derniers ont rétorqué qu’ils « exécutaient des instructions » en lui arrachant son téléphone et les clefs de la voiture. Les membres des services de sécurité ont ensuite regagné leurs véhicules en emmenant la victime vers une destination inconnue.

Dans la même soirée du 31 décembre, le ministère de l’intérieur s’est contenté d’annoncer sur son site internet que « deux personnes avaient été arrêtées et assignées à résidence » sans indiquer de noms. Cette annonce faisait implicitement allusion à M. Bhiri dont le lieu de détention a été gardé secret jusqu’au 2 janvier 2022, date à laquelle son épouse a appris qu’il était hospitalisé au service de réanimation de l’hôpital Bougatfa de Bizerte (nord, Tunisie).

2. M. Fathi BELDI, ex-conseiller au ministère de l’Intérieur assigné illégalement à résidence

Le 31 décembre 2021, à 10 heures 30, M. Fathi BELDI, a été violemment interpellé par plusieurs membres des services de sécurité en tenue civile, devant son domicile, alors qu’il venait de s’installer dans sa voiture et s’apprêtait à prendre la route.

Sorti de force de son véhicule, M. Beldi a été violemment battu par les membres des services de sécurité sous le regard de plusieurs membres de sa famille. Après plusieurs minutes d’acharnement, il a été emmené vers une destination inconnue à bord d’une voiture blindée de type 4x4 accompagnée de plusieurs autres véhicules civils.

La deuxième assignation à résidence annoncée par le ministère de l’intérieur, dans la nuit du 31 décembre concernait M. Beldi. Bien que le ministère de l’intérieur ait annoncé une mesure d’assignation, le lieu de détention de M. Beldi n’a pas été immédiatemment divulgué. Ce n’est que le 04 janvier 2021 que sa famille a pu lui rendre visite au centre de la garde nationale d’Al Amri dans la wilaya de Menouba. Sa famille ignore cependant s’il est encore détenu dans ce centre ou s’il y a été emmené provisoirement pour les besoins de cette visite. 

3. Le Groupe de travail saisi par Alkarama

L’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice, l’AFD International et Alkarama se sont adressés au GTDA aux motifs que l’assignation à résidence de MM. Bhiri et Beldi, est contraire à la législation interne et aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969.

Le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) garantit à tout individu le droit à la liberté de la personne, et indique que nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi.

Selon l’Observation générale n°35 du Comité des droits de l’homme « si, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, une menace immédiate, directe et inévitable est invoquée pour justifier la détention d’une personne considérée comme présentant une telle menace la charge de la preuve incombe à l’État partie, qui doit montrer que la menace émane de l’individu visé et qu’aucune autre mesure ne peut être prise, et cette charge augmente avec la durée de la détention.».

MM. Bhiri et Beldi ont tous deux étés violemment interpellés par des membres des services de sécurité en tenue civile et ont été emmenés vers des destinations inconnues.

Le 6 janvier 2022,  l’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice, l’AFD International et Alkarama s’étaient déjà également adressés au Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture concernant les traitements cruels inhumains et dégradants dont ils ont été victimes lors de leur arrestation.

Ce n’est que dans la nuit du 31 décembre que le ministère de l’Intérieur s’est borné à annoncer sur son site « l’assignation à résidence de deux personnes arrêtées ». La décision a été annoncée de façon non officielle en violation des exigences procédurales requises et consacrées dans la législation interne et internationale. Celle-ci faisait uniquement état d’une « mesure préventive dictée par la nécessité de préserver la sûreté nationale ».

De plus, l’article 49 de la Constitution tunisienne précise que les libertés fondamentales ne peuvent être restreintes qu’à travers les lois et à la seule condition d’un contrôle de ces limites par les autorités judiciaires.

Selon le Comité des droits de l’homme de l’ONU, toutes les mesures restrictives doivent également être conformes au principe de la proportionnalité et « être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d'obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l'intérêt à protéger. »

Ainsi, si le but visé par la décision du « chargé de mission du ministère de l’Intérieur » est véritablement d’assurer le respect de l’ordre et de la sécurité́ publics, celui-ci n’explique pas dans quelle mesure les privations de liberté́ de MM. Bhiri et Beldi permettent de réaliser cet objectif. La décision de détention est d’autant plus contestable que les autorités n’apportent aucun élément tangible attestant de l’existence de raisons sérieuses de penser que leurs agissements constituent une menace réelle pour la sécurité́ et l'ordre publics.

Il semblerait, eu égard à l’absence de motivation de ces mesures arbitraires de privations de liberté, que ces détentions reflètent en réalité la volonté du président, Kaïs Saïed, qui concentre désormais tous les pouvoirs en violation de la Constitution, de réduire au silence des opposants politiques, à l’instar de M. Bhiri, qui avait dénoncé la dissolution du Parlement qualifiant cet acte d’anticonstitutionnel.

L’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice, l’AFD International et Alkarama ont donc invité le Groupe de travail à constater que la privation de liberté de MM. Bhiri et Beldi est arbitraire et en violation tant des dispositions légales internes que des articles 9, 12, 19 et 14 du PIDCP et d’enjoindre à l’État partie de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour remédier à cette situation en les libérant sans délai.