The Military Tribunal in Lebanon

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 21 communications concernant 9 victimes


LIBAN

Nos préoccupations:

  • Violations graves et récurrentes commises par les services de sécurité dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, notamment contre les réfugiés syriens et les mineurs;
  • Utilisation généralisée de la torture, notamment pour extorquer des aveux;
  • Procès inéquitables notamment devant le Conseil judiciaire et le Tribunal militaire ;
  • Restrictions à la liberté d'expression, notamment en cas de dénonciation d'abus commis par les services de sécurité.

Nos recommandations:

  • Mettre un terme définitif aux pratiques de la détention incommunicado et de la torture perpétrées par les services de sécurité et lutter contre l'impunité en poursuivant les auteurs de ces crimes;
  • Réaménager la compétence du Tribunal militaire et abolir le Conseil judiciaire;
  • Veiller à ce que la lutte contre le terrorisme soit menée conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme;
  • Mettre en œuvre les recommandations formulées par le Comité contre la torture et acceptées dans le cadre de l'Examen périodique universel.

A suivre:

  • Avril-mai 2017: Examen du Liban devant le Comité contre la torture;
  • Adoption des lois relatives à la promotion et la protection des droits de l'homme, notamment la loi sur la criminalisation de la torture.

 

En 2016, le Liban est resté plongé dans une paralysie politique alors que le gouvernement a peiné à faire adopter de nouvelles lois et à engager un réel processus de dialogue interne. Cependant, le 31 octobre 2016, après plus de deux ans de vide politique, le Parlement libanais a élu l’ancien chef de l'armée et fondateur du « Courant patriotique libre » Michel Aoun comme nouveau chef de l'Etat. Le 3 novembre 2016, le président a confié à Saad Hariri le rôle de Premier ministre pour la deuxième fois, puisqu’il occupait déjà ce poste entre 2009 et 2011. Le 28 décembre, le Parlement s’est entendu sur un cabinet d'union nationale comprenant un Ministre d'Etat pour les Droits de l'Homme. Comme les années précédentes, le Liban a continué de subir les conséquences du conflit syrien. Le pays compte plus d'un million de réfugiés syriens sur son territoire – la plus forte concentration de réfugiés dans le monde par habitant – malgré les restrictions établies en 2015. Le Hezbollah a également continué à combattre aux côtés des forces du président Bashar Al Assad en Syrie. La situation sécuritaire du pays est restée instable en raison des menaces d’affrontements entre les groupes armés – affiliés à Al Nosra et l'Etat Islamique (EI) – et l'armée libanaise, notamment dans les zones frontalières. Le 19 octobre 2016, après une année d'impasse politique, le Parlement a approuvé une loi instituant une commission nationale indépendante des droits de l'homme, chargée d'améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays. Comme l'exige le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (OPCAT), ratifié par le Liban en 2008, l'institution nationale libanaise des droits de l'homme comprend un mécanisme national de prévention, un organe indépendant chargé de visiter les lieux de détention. La commission est actuellement en cours d’établissement : s’il est attribué à ce mécanisme les garanties nécessaires pour s'acquitter de son mandat de manière efficace et impartiale, il pourrait contribuer à lutter contre la torture en aidant notamment les victimes à saisir la justice et obtenir réparation.

Violations des droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

En 2016, une année marquée par l'instabilité et l'insécurité, les forces armées libanaises et les forces de sécurité intérieure ont procédé à de nombreuses arrestations de personnes soupçonnées de crimes terroristes et d'attaques contre l'armée. La plupart de ces personnes ont ensuite été détenues au secret et interrogées sous la torture, une pratique qui reste répandue et systématique dans le pays malgré les recommandations du Comité contre la torture de l’ONU (CAT) en octobre 2014, à la suite de son enquête dans le pays. Les suspects de crimes terroristes sont ensuite renvoyés devant le Tribunal militaire – une juridiction composée principalement de juges militaires nommés par le ministre de la Défense, auxquels ils sont directement subordonnés – et soumis à des procès inéquitables. Ainsi, certains procès sont tenus au secret, sans la présence d'un avocat, et ne sont pas soumis au contrôle d'une autorité judiciaire indépendante. En outre, les juges du tribunal militaire admettent généralement comme élément de preuve des aveux obtenus sous la torture. Les personnes accusées de terrorisme risquent également d’être traduites devant le Conseil judiciaire, une juridiction d’exception dont les membres sont nommés par le pouvoir exécutif et dont les décisions ne peuvent faire l'objet d'aucun recours. Cette année, Alkarama a documenté de nombreux cas illustrant de telles violations aux mécanismes des droits de l'homme de l'ONU, y compris le cas du réfugié syrien de 25 ans Yarub Al Faraj. En décembre 2015, celui-ci avait été condamné par le Tribunal militaire pour terrorisme, sur la base de ses seuls aveux arrachés sous la torture. Durant sa détention incommunicado par les services de renseignements militaires de la caserne militaire d'Ablah, il a été battu, parfois suspendu au plafond, privé de nourriture et d'eau et menacé de mort. En plus d'être souvent victimes de violations dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les réfugiés syriens ont également été victimes de disparitions forcées, comme Mohamad Al Souki, réfugié de 23 ans arrêté fin août 2016 à Sir El Danniyeh, au nord du pays, par des officiers du renseignement militaire sous prétexte de « ne pas détenir un titre de séjour valide au Liban ». Il n’est réapparu qu'un mois plus tard, lorsqu'un notaire public s’est rendu dans les locaux de la police militaire à Beyrouth et a reçu la confirmation officielle des autorités que M. Al Souki y était détenu. Le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées et involontaires, sollicité par Alkarama, avait envoyé une lettre aux autorités libanaises leur demandant de faire la lumière sur son sort. En outre, Alkarama reste extrêmement préoccupée par le fait que même les mineurs ne sont pas exempts de tels mauvais traitements lorsqu'ils sont soupçonnés de terrorisme. A titre d’exemple, en septembre 2014, Walid Diab, 16 ans, a été arrêté alors qu'il traversait un poste de contrôle militaire, sur la base des seules informations fournies par des « informateurs secrets ». Au cours de sa détention incommunicado pendant trois mois dans les locaux des services de renseignement militaire dans la caserne Hanna Ghostine à Araman, au nord du Liban, il a été électrocuté, suspendu par les bras attachés derrière le dos, battu, et privé de nourriture et d'eau afin de lui arracher des aveux établissant de prétendus liens avec « un groupe terroriste ». C’est sur la base de ses seuls aveux qu’il a ensuite été condamné par le Tribunal militaire. Après l'intervention d'Alkarama auprès des mécanismes des droits de l'homme de l'ONU, son cas a été renvoyé devant un tribunal pour mineurs, lequel a ordonné sa libération sous caution.

Atteintes au droit à la liberté d'expression

Bien que le Liban soit un pays où la liberté d'expression est généralement respectée, Alkarama regrette que les autorités aient eu cette année recours à des menaces et à des poursuites judiciaires pour « diffamation », un crime passible d’une peine d’emprisonnement pour punir et faire taire ceux qui critiquent les autorités ou dénoncent les abus commis par les services de sécurité. Ainsi, Alkarama a relevé le cas de Nabil Al Halabi, un avocat connu pour avoir dénoncé la corruption, ainsi que le recours abusif aux tribunaux militaires et à la torture au Liban. Il a été arrêté et détenu par les forces de sécurité intérieures entre le 30 mai et le 1er juin 2016 à la suite d'une plainte en « diffamation et calomnie », déposée contre lui par le ministère de l'Intérieur pour après avoir publié un post sur Facebook dénonçant la corruption des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Au cours de sa détention, il a été menacé d’être poursuivi pour de prétendues «relations avec des groupes terroristes » tels que l'EI ou le Front Al Nosra, en raison de son rôle de médiateur pour obtenir la libération de soldats libanais kidnappés. Il a finalement été libéré à la condition de retirer sa publication et de s’engager à ne plus publier de déclarations similaires. La dénonciation des violations des droits humains au Liban peut également conduire à des poursuites, comme le montre le cas de Layal Al Kayaje, une Palestinienne de 31 ans qui a publiquement dénoncé son viol par des officiers du renseignement militaire alors qu'elle était détenue dans l’une de leurs casernes à Rihaniyyeh en septembre 2013. Le 22 août 2016, le tribunal militaire l'a condamnée à un mois d'emprisonnement pour « diffamation et calomnie contre l'armée libanaise ». De même, en 2016, le harcèlement judiciaire de deux défenseurs des droits de l’homme, Mme Marie Daunay et M. Wadih Al Asmar, respectivement président et secrétaire général du Centre libanais des droits de l’homme, s'est poursuivi. Une procédure judiciaire a été ouverte en 2011, après que le parti politique Amal ait déposé une plainte contre eux peu après la parution d'un rapport dénonçant la détention arbitraire et la torture dans le pays mettant en cause plusieurs acteurs, parmi lesquels des membres du mouvement Amal. Après une longue phase d'enquête, le 24 février 2014, le juge d'instruction du tribunal de Baadba les a accusés de « diffamation » et a renvoyé leur dossier devant le tribunal. Leur procès est toujours en cours.

LE LIBAN FAIT PREUVE D’UNE VOLONTÉ LIMITÉE D’AMÉLIORER LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME AU COURS DE SON EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL

À la suite de son Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l'homme (CDH) en novembre 2015, en mars 2016, le Liban a exprimé sa position quant aux recommandations du CDH : il en a accepté 130 et a pris note de 89 autres. À cet égard, Alkarama s'est félicité de l'acceptation par le Liban de 15 recommandations concernant l'éradication de la torture, l’amendement de sa législation afin d'assurer le respect de la Convention contre la torture et de son Protocole facultatif auquel le Liban est partie, ainsi que son engagement à redoubler ses efforts pour mettre un terme à cette pratique dans le pays et de poursuivre les responsables. En outre, le Liban a accepté un certain nombre de recommandations relatives à la création d'une institution nationale des droits de l'homme, qui ont été mises en œuvre dès octobre 2016, lorsque le parlement a ratifié une loi instituant une commission nationale indépendante des droits de l'homme. Alkarama s’est toutefois inquiétée du refus du Liban d'accepter plusieurs recommandations faites par les États membres de mettre fin à l'utilisation des tribunaux militaires pour juger des civils et d'établir un moratoire de jure sur l’application de la peine de mort. Ainsi, le Liban n'a pas accepté une recommandation tendant à « réaménager la compétence du Tribunal militaire aux membres des forces armées et à renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire ». De même, les autorités ont simplement « noté » les recommandations visant à abolir la peine de mort ou à ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.